Du Aldi de Herstal à la Chambre, l’ascenceur social de Nadia Moscufo (PTB)


Dans On débat
Antoine Ramet

Moscufo fond bon

Nadia Moscufo, Herstalienne pur jus, semblait destinée à rejoindre le dernier parti national de Belgique. Focus sur le bras droit rebelle de Raoul Hedebouw, deuxième sur la liste fédérale du PTB à Liège.

C’est une histoire commune, presque classique pour les familles italiennes immigrées en Belgique. Arrivé en 1956 au plat pays, le père Moscufo vient trimer dans les mines, comme de nombreux compatriotes. Rejoint par sa compagne, ils sont embauchés par la Fabrique Nationale de Herstal, qui produit des armes. Les deux ouvriers, membres du parti communiste italien, deviendront délégués syndicaux. Ils donneront naissance à trois filles, dont Nadia, née le 16 décembre 1963.

Cette dernière tient aujourd'hui à souligner qu’elle est née à l'hôpital, à Hermalle-sous-Argenteau. À ses yeux, le choix de sa mère d’accoucher en ces murs incarnait une preuve de ses valeurs progressistes: «Ma mère avait connu de nombreuses femmes décédées en accouchant à domicile. Pour elle, accoucher à l’hôpital symbolisait le progrès et la sécurité.»

L’arbre généalogique est resté rouge chez les Moscufo: les valeurs communistes de ses parents, mais aussi les convictions de ses deux fils. «Ils partagent certaines de mes idées, mais je ne les ai jamais forcés!» Les deux garçons sont issus de la même union, avec un homme lui aussi syndicaliste. Nadia Moscufo partage aujourd’hui sa vie avec un des cadres du parti.

Pas de diplôme, mais une langue bien pendue 

Son enfance s'épanouit dans la commune de Herstal, une ville qu’elle n’a jamais quittée. Elle y occupe un siège de conseillère communale depuis les élections d'octobre 2000. Bien avant ça, la jeune Nadia Moscufo a effectué ses classes à l'Athénée de Herstal où, de son propre aveu, elle s’amusait plus qu’elle ne travaillait. La jeune femme, «déjà rebelle mais pas encore engagée» sortira de l’école secondaire avec son diplôme, mais s’arrêtera là pour débuter sa vie professionnelle. Elle se revendique de cette «majorité de la classe ouvrière sans diplôme supérieur». Une fierté pour la Herstalienne: «Je n’ai pas vécu ce parcours comme une honte, parce que je me suis rapidement engagée pour améliorer mes conditions de travail. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas de diplôme supérieur qu’on n’a pas des choses à dire!».

De l’engagement syndical…

A 18 ans, elle commence à travailler comme caissière dans la grande distribution. Elle y restera 26 ans. Elle aurait aimé y commencer plus jeune: «La notion de travail était très valorisée dans ma famille. Il n’était pas question pour mon père que je quitte l’école sans avoir de travail. J’ai été éduquée dans l’idée que le travail est émancipateur, aussi pour se libérer en tant que femme.» Cependant, les conditions de travail difficiles vont l’encourager à devenir déléguée syndicale.

Parmi ses premières victoires, le droit d'égayer les rayons des magasins avec... de la musique: «A l’époque, mon patron, qui était la huitième fortune mondiale, ne voulait pas mettre la musique dans les magasins, sous prétexte qu’il n’avait pas d’argent pour payer la Sabam!» Autre combat: huit ans pour obtenir de l’eau gratuite, et surtout un allongement des horaires pour les caissières en place. La plupart des employées avaient un contrat temps partiel «pour qu’elles aient le temps de repasser les chemises de leurs mecs». Nadia Moscufo et ses collègues syndicalistes ont obtenu l’obligation pour la firme de prolonger les journées des caissières titulaires avant d’en engager de nouvelles. 

…à l'engagement social

Le combat du Parti du travail de Belgique ne se résume pas aux droits du travail. Il mène également des luttes pour l’égalité, comme le combat antiraciste ou féministe. Pour Nadia Moscufo, «les discriminations font partie des outils du capitalisme». Cette immigrée de deuxième génération connait bien les discriminations sexistes et racistes. Si l’on peut croire qu’avoir subi une forme de xénophobie étant jeune rend plus humaniste, Nadia Moscufo se montre plus nuancée: «Je connais des Italiens de la 2ᵉ, 3ᵉ ou 4ᵉ génération qui tombent dans le racisme, avec des arguments comme “nous c’était différent”.»

Nadia Moscufo se dit fière d’avoir grandi dans une famille progressiste. Cette éducation lui a été «bénéfique dans un moment difficile de sa vie». A 15 ans et demi, elle tombe enceinte de son petit ami. Si à l’époque, l’accès à l’avortement se révèle compliqué et est stigmatisé, ses parents n’ont émis aucune objection à ce que la jeune Nadia se fasse avorter. Surtout que, dans sa jeunesse, sa mère a connu la même expérience. L’actuelle députée fédérale, élue en 2019, reste très marquée par cet épisode: «J’en parle parfois avec mes fils, parce que j’ai une bonne relation avec eux. J’oublie parfois la date de leur anniversaire, mais je n’oublierai jamais la date de mon avortement: le 20 décembre 1979. Je rassure mes garçons en leur disant que quand on aime, on ne compte pas!», ironise-t-elle. Avant cet événement, ses parents avaient déjà manifesté pour la libération du Dr. Willy Peers, ce médecin namurois arrêté en 1973 pour avoir pratiqué des avortements illégaux.

Herstal, ma bien-aimée 

Nadia Moscufo entretient un rapport sentimental avec sa ville. Heureux hasard ou symbole du nombre de familles ayant immigré, Herstal est jumelée avec le village d’origine de ses parents, Castelmauro (Molise). Le rapport entre Nadia Moscufo et son bourgmestre Frédéric Daerden (PS) s'avère moins fusionnel. La conseillère communale reproche à ce dernier d’avoir engagé la ville sur un contrat de quarante ans pour un parking payant. Ou de favoriser des promoteurs immobiliers construisant des logements sociaux inaccessibles pour la plupart des Herstaliens. Le bourgmestre, lui, regrette qu'elle reste bornée dans sa position d’opposition, notamment suite au refus de Nadia Moscufo de rejoindre le Collège de la ville. Ce qui, pour le PTB, est presque devenu une habitude.

L’appel aux urnes se fait de plus en plus fort et Nadia Moscufo occupe son éternelle place de seconde sur la liste fédérale du PTB, derrière l'indéboulonnable président Raoul Hedebouw. Des rayons des supermarchés jusqu’à la Chambre, les valeurs sociales de Nadia Moscufo n’ont pas bougé. Et la Herstalienne cherchera bel et bien à garder son siège obtenu après plusieurs élections infructueuses.

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