Christie Morreale (PS) : une rose au milieu des orties


Dans On débat
Thomas Schefferzick

Photos : Lola Carvajal

Belgique 2024 : clap de fin ? [5/5]

Des Hauts-Fourneaux d’Ougrée aux quais d’Esneux, Christie Morreale (PS) trouve ses racines en région liégeoise. Elle pose, vers ses seize ans, un premier pas dans la jungle politique wallonne. L’objectif : bouger les lignes. Changer les choses.

Lola Carvajal

Avec le droit des femmes, l’égalité des chances et les questions environnementales comme moteurs, celle qui deviendra Vice-présidente du parlement wallon rejoint le PS en 1994. Elle arpente alors un chemin semé d’embûches qui, pourtant, la conduira aux bancs du parlement wallon. D’apparence distante avec les calculs politiques, la ministre compte « rester fixée » sur ses objectifs.

À 16 ans, vous consultez les programmes de différents partis. Mais d'où vient cette passion pour la politique ?

De mon professeur d'Histoire à l’Athénée. Il donne, à cette époque, un cours sur le socialisme et le capitalisme. C’est l’élément déclencheur. L'injustice et le déterminisme social me révoltent profondément. Par nature, par vocation, je commence à parler pour les autres et à les représenter.

À l’époque, mes parents ne militent pas. Il y a cette réunion, où je ne veux pas aller seule. Ma mère décide de m’y accompagner. Laurette Onkelinx prend la parole, je me sens à ma place. Depuis, à mes yeux, elle représente l’engagement. Le droit de se mettre en colère, d’utiliser l’injustice comme moteur de l’action. Le feu sacré qu’elle porte, je le sens en moi. Nous l’avons en commun.

Pourquoi étudier la Criminologie, et pas la Science politique ?

En m’inscrivant à l’Université, je croise Marc Uyttendaele, l’époux de Laurette. Je lui annonce vouloir m’inscrire en Science politique. En riant, il me redirige vers le Droit, sachant que j’allais « faire de la politique toute ma vie. » Après la validation de mes candis [l'équivalent du bachelier, ndlr] de droit, j’entame une maîtrise [un master, ndlr] en criminologie. Un croisement entre la médecine, la psychologie et la sociologie. Un carrefour de compétences utiles en politique… mais aussi une méthode de travail. On ne prend pas le problème à travers un prisme potentiellement trop étroit. On adopte une vision d’ensemble.

Les droits des femmes représentent l’un de vos principaux combats. Les lignes commencent à bouger, selon vous ?

Oui. Un nouveau féminisme émerge dans le domaine public. Quelques années en arrière, je suis élue directe à la Région. Pour dénoncer le harcèlement de rue, je diffuse un reportage de Sophie Peters au parlement. À la fin de la diffusion, certains députés se moquent, me demandent si je n’ai « rien d'autre à faire que de parler de cela ? » Aujourd'hui, plus personne n’oserait agir de la sorte.

Plus tard, quand je suis députée wallonne, j’interpelle Carlo Di Antonio (LE) au sujet du harcèlement dans les transports en commun. Sa réponse ? « Ça n'existe pas. La preuve il n’y a pas de plainte ». Alors je prends mon bâton de pèlerin. Aux aurores, accompagnée d’une autre députée, on arpente les arrêts de bus sur Liège. Ans. Puis Esneux. Dans nos mains, un questionnaire bricolé nous permet de montrer le chiffre noir.

L’absence de plaintes ne signifie pas l’absence de phénomène. De cette manière, on intègre les questions d'appropriation de l'espace public, où les femmes ne sont pas encore à l'égal de l'homme.

Jeune militante, vous collez des affiches pour le Parti Socialiste. Mais aujourd’hui, vous reprendriez le pot de colle et les pinceaux pour rejoindre les colleuses féministes ?

Ah oui ! Je trouve ça génial, ce qu’elles font. J’en photographie souvent le résultat. C’est une belle manière de faire passer des messages, qui s’enlèvent facilement. Elles évoquent un problème en l’illustrant, quand la moitié de la population ignore parfois que celui-ci existe.

Avez-vous la sensation qu'aujourd'hui les femmes sont davantage considérées en politique, ici en Belgique ?

Bien plus qu’à l’époque. Le modèle reste fragile, instable. On ne peut le considérer comme acquis, d’ailleurs. Regardez le Kern ; deux femmes pour huit élus. La majorité des décisions au Conseil des ministres restreint sont prises dans cette petite structure. C’est inacceptable ! Il faut stabiliser la parité. Aujourd’hui encore, je dois discuter avec des responsables politiques, des conseillères communales, des échevines, des bourgmestres, des députées, pour les inciter à prendre davantage la parole. Ce travail me tient aussi à cœur.

Paul Magnette, lui, se rêve Premier ministre. Pourquoi pas une femme issue d'un milieu populaire ? Et pourquoi pas vous ?

Tirer des plans sur la comète, sur l’ambition personnelle, cela ne me ressemble pas. Je n’en suis pas encore là.

Et pourquoi ne pas vous être présentée au poste de présidente de parti pour le PS ?

Paul travaille sur la stratégie, et porte une vision programmatique pour le parti. Il fixe les lignes, et le fait très bien.

Donc ce n’est pas encore le moment pour vous ? Ça ne fait pas partie de vos ambitions ?

Je vois où vous voulez en venir. Ça, vous ne me le ferez pas dire.

 ©Lola Carvajal

La crise covid, ça a été un baptême du feu malgré une vingtaine d'années en politique ?

Personne ne pouvait se préparer à une tempête aussi forte. Un capitaine s’accroche à son gouvernail et maintient son cap. Pas question de lâcher, de se planquer derrière un autre. On travaille d’arrache-pied. Nous sommes partis de rien sur tant de choses. On a créé des centres de vaccination, amené plus de 80% de la population à adhérer à cette étape de solidarité. Personne n’y croyait, mais nous l’avons fait.

Refédéraliser la santé ou la conserver au régional, quelle est la meilleure manière de traiter cette compétence ?

Mon rôle reste celui de copilote, de prendre mes responsabilités dans les matières qui sont les miennes. Le fédéral préside la gestion de crise. Il exerce 90% des compétences de santé. Si Maggie De Block disposait à elle seule des compétences de la santé, la situation aurait-elle satisfait les gens ? Je ne suis pas sûre.

De Wever explique qu'il y a deux peuples belges, différents par leur culture. Cet écart, vous le ressentez aussi ?

Flamands et wallons se connaissent de moins en moins. Nos chemins s’éloignent. Au-delà de ça, le peuple belge se retrouve autour d’événements sportifs ou d’athlètes, derrière Naffisatou Thiam par exemple. Culturellement, Flandre et Wallonie diffèrent. Mais quelle importance, à l'échelle du monde ? D’autres pays aux territoires densément peuplés, culturellement différents, restent gouvernables. Et on voudrait me faire dire que gérer un petit État de onze millions d'habitants relève de l’impossible ? Ça, je ne peux pas le croire !

La scission relève d’un risque réel, ou d’un fantasme d’une partie de l’électorat flamand ?

Dans un couple, si l’autre vous rappelle en permanence qu’il ne vous aime plus, il faut se préparer à la séparation. En Belgique, quand on évoque la question des pensions, on n’entend pas la Flandre parler de la scission. Au PS, on se prépare à l’autonomie. On doit pouvoir être prêt et, le cas échéant, mener toutes les réformes qui s'imposent.

Est-ce que réintégrer la N-VA dans le gouvernement ne servirait pas à tempérer les décisions et les sentiments nationalistes ? Ça ne serait pas nier une partie de l’électorat flamand ?

Non. Est-ce que tout va bien au gouvernement flamand ? Regardez, les problèmes auxquels ils se retrouvent confrontés. La question des maisons de repos, des crèches, de l'agriculture... Finalement, le gouvernement Wallon ne jouirait-il pas d’un meilleur équilibre ? Côté Flandre, la N-VA au pouvoir constitue un gage de stabilité ? Je ne suis pas sûre. À titre d’exemple, toujours aucun plan antiracisme interfédéral alors que Bruxelles, la Communauté française, le fédéral et la région wallonne contribuent… et là encore, la Flandre bloque.

De quelle personnalité politique flamande vous sentez vous le plus proche, et pour quelle raison ?

Professionnellement, Franck Vandenbroucke. Notre collaboration s’est déroulée autour d’un même objectif, avec complicité, sans se tirer dans les pattes.

Comment le parti compte-t-il mobiliser les jeunes autour de cette élection ?

Les mouvements de jeunesse restent actifs. Nous travaillons autour des thématiques qui les touchent particulièrement. Nous allons nous pencher sur la consultation et la concertation de la jeune génération, autour des sujets qu’eux nous renvoient. La transition écologique, aussi, reste un sujet majeur, source d’inquiétudes et de débats.

Notre responsabilité consiste à amener ces sujets sur la table des discussions politiques. Au pouvoir, ils montent encore en puissance dans les décisions dans la déclaration de politique régionale, et donc dans les priorités des mesures à implémenter rapidement.

Est-ce que l’on peut s’attendre à des alliances entre le PS et d'autres partis, pour ces futures élections ?

On a renforcé et on a raffermi nos liens avec Vooruit, après les épisodes où le gouvernement n'était pas allié avec son parti frère. Nos présidents de partis se parlent beaucoup et ont des réunions principalement au niveau fédéral. Nos alliances sont principalement là.

Côté gouvernement wallon, une coalition coquelicot, ça fonctionnerait, selon vous ?

Généralement sensible aux thèses défendues par Écolo, je dirai que oui. Cependant, il nous arrive de pratiquer la politique différemment. Les questions autour de l’aéroport de Liège laissaient place à quelques confrontations : l’emploi et l’environnement. Mais peut-on se retrouver dans le déni de la situation dans laquelle on vit aujourd'hui ? Les drames climatiques continueront de se produire si les décisions politiques ne deviennent pas plus radicales. Elles arrivent progressivement. Le tout reste de les faire coller. Il faut éviter d'opposer les thèses sociales et environnementales, et là-dessus, il y a encore un chemin à faire.

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