Samuel Cogolati (Ecolo) : « À 14 ans, je soutenais Écolo, on se moquait beaucoup de moi à l’école »


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Lola Fonta

Photos : Florine Berger

BELGIQUE 2024 : CLAP DE FIN ? [1/5]

Samuel Cogolati a grandi à l'ombre de la centrale nucléaire de Tihange. Un paysage gris béton dont il détourne rapidement son attention. « Je regardais plutôt à l’horizon. Vers Villers-Le-Bouillet, d’où émergeaient des éoliennes ». Cette autre réalité le pousse à s’engager à quatorze ans chez les Verts. Happé par une promesse : « faire de la politique autrement ». Fraîchement élu député fédéral en 2019, il entonne cette rengaine entre les murs écrus du Parlement. 

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Au gouvernement, son parti tente d’accorder ses violons au son des Quatre Saisons de la Vivaldi. Ecolo y joue sa deuxième participation au fédéral. Un hymne à la nature qui tombe à point. Cet optimiste à l’esprit cosmopolite se réjouit de « cette évolution de l’écologie politique » au sein des institutions. De la rupture à l’arrangement, sans se compromettre. Le député y croit. En vert et contre tout.

À dix ans, vous siégez au conseil communal des enfants de Huy. Pourquoi s’investir en politique à un si jeune âge ?

Une rage. Une certaine colère. Une indignation contre les injustices. Deux milliards de personnes vivent sur Terre avec moins de deux dollars par jour. Je ne l’accepte pas. La plupart des gouvernements dans le monde continuent à appuyer sur l’accélérateur. Je refuse d’aller droit dans le mur, vers la catastrophe climatique. J’ai aussi grandi dans une commune dirigée par la bourgmestre Anne-Marie Lizin (PS). Elle gérait la ville d’une main de fer. Les citoyens disposaient de peu de place pour s’exprimer et s’opposer à certains de ses projets. Je me suis tourné vers un parti envisageant la politique autrement. Il laisse des espaces démocratiques aux citoyens pour s’exprimer.

Pourquoi rejoindre Ecolo ?

Le premier marqueur déterminant reste le marqueur social : la solidarité avec les autres, les gens venus d’ailleurs, ceux moins fortunés, moins chanceux. Mes grands-parents viennent d’Italie et d’Espagne. Le programme d’Ecolo demeure solide. Il se distingue des partis traditionnels. Les écologistes ne souhaitent pas seulement partager le gâteau. Ils réfléchissent à une manière différente et durable de le composer. Ils veulent construire une économie soutenable sans épuisement des ressources naturelles. Les Verts privilégient le respect des règles déontologiques. La corruption, le mensonge, le cumul, l’égoïsme anéantissent tout, même les idées louables.

Vous vous engagez chez Écolo en 2003. À l’époque, le parti subit une défaite cuisante à la Chambre et auprès de l’opinion publique. Pourquoi les rejoindre précisément à ce moment-là ? 

J’aime voguer à contre-courant des idées populaires. En 2003, j’avais 14 ans, je soutenais Écolo. On se moquait beaucoup de moi à l’école. À l’époque, le parti militait à fond contre la publicité pour le tabac au circuit de Francorchamps. Tout le monde s’égosillait : « Le circuit va mourir ! Il faut maintenir la publicité pour notre économie ». Personne n’oserait remettre en question cette interdiction aujourd’hui. J’apprécie ce côté précurseur et pionnier des écologistes.

À 18 ans, vous partez en échange aux Pays-Bas, puis aux États-Unis. Vous suivez ensuite un master en droit à la KU Leuven. D’où vous vient cette ouverture vers le monde ? 

Ma famille multiculturelle. La Belgique ne forme pas une île isolée du reste du monde mais un vaste melting pot avec des gens venus des quatre coins du monde. J’en reste conscient. Je ne crois en rien aux grands discours indépendantistes, nationalistes, de repli sur soi. Aujourd’hui, les problèmes deviennent globaux. On pourra mettre sur pied des solutions générales en bâtissant des alliances, des ponts entre les pays. Qui peut prétendre lutter contre le dérèglement climatique, seul dans sa province ?

De quelle personnalité politique vous sentez-vous le plus proche en Flandre ?

Kristof Calvo (Groen). À 14 ans, j’arrive chez Écolo-J, il préside les Jong Groen. En 2019, je suis élu à la Chambre, je le retrouve comme chef du groupe des Verts. On partage de nombreux désaccords. Mais il reste une personne de conseil précieuse et attachante.

En 2020, vous décidez de faire du porte-à-porte en Flandre avec votre homologue de Groen, Jessika Soors. Vous vous rendez dans des communes où l’extrême-droite atteint de hauts scores. Avez-vous observé ces deux Belgique dont parle Bart De Wever (N-VA) ?

Je reste très prudent vis-à-vis du fantasme sur le nationalisme et du repli sur soi. Remettre la faute sur les autres pour refuser de traiter les questions de fond, c’est choisir la facilité. Quand vous toquez aux maisons, vous vous rendez compte de la réalité sociale et démographique. Des femmes âgées aux pensions ridicules. Des travailleurs incapables de se passer de leur voiture. Nord ou Sud, les problèmes restent les mêmes. Le confédéralisme équivaut au fédéralisme des cons. Je crois à la construction collective de politiques pour changer la société. Créer du lien avec les autres, dépasser les frontières linguistiques, géographiques pour trouver des solutions aux enjeux communs de mobilité, d’énergie et de climat.

Est-ce la solution pour combattre l'extrême droite : convaincre, écouter, rencontrer ?

La politique se ressent avec ses tripes. On partage des émotions sur le terrain, avec les gens. On doit revenir aux sources d’un Parlement. Un lieu de la représentation de l’ensemble de la population. On parle de « carrière », mais ce n’est pas vrai, ce n’est pas une carrière. Aux prochaines élections, si le peuple exprime son mécontentement, il nous retire le mandat. Sinon, il le renouvelle. J’honore un mandat, je m’attèle au service des autres, et non du mien. 

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Seriez-vous capable d’entrer dans n’importe quelle coalition pour gouverner ?

Je crois au compromis. Quelque part, il reflète la société : nous ne menons pas des existences identiques, nous ne croyons pas tous à la même chose. Avoir un Parlement inclusif et divers, à l’image de sa population, constitue une richesse. Maintenant, il demeure impossible de coopérer avec certains partis. On ne négocie pas avec l’extrême droite, on la combat.

Vous écartez le Vlaams Belang. Qu’en serait-il pour la N-VA ? 

 Ce gouvernement-ci en tire sa raison d’être. Nous voulions éviter à tout prix une coalition avec la N-VA. Durant la précédente législature, ce parti nationaliste tenait des discours anti-immigration, de rejet des autres, renvoyant des demandeurs d’asiles soudanais vers une dictature. Si la N-VA persiste avec ce programme et ce discours, la coopération semble complexe. Les coalitions ne s’établissent pas à n’importe quel prix. Une alliance vise à établir une feuille de route commune pour la totalité des partis. Si, nous, écologistes, acceptons des concessions, nous devons aussi avancer sur nos priorités sociales, vertes, d’égalité des genres.

Comment analysez-vous les relations idéologiques entre ces deux partis ? 

Le Vlaams Belang reste un parti raciste de tradition néo-fasciste. Ses ancêtres collaboraient avec les nazis durant l’Occupation allemande. Il faut le rappeler et ne pas banaliser cette extrême droite. Ces idées semblent contagieuses et affecter certains pans du discours de la N-VA. Nous mettons en garde contre cette contagion.

1980-1985, première législature d’Écolo. Les Verts mènent des actions retentissantes :  ils coupent symboliquement le gaz au siège du PSC. Le but : les inciter à soutenir leur proposition de loi contre les coupures d’énergie. Est-ce qu’aujourd’hui Ecolo pourrait couper l’électricité au siège du MR ? 

Ecolo a gagné le statut d’un partenaire fiable, crédible, de gouvernement. La société civile permet de pousser certains combats dont on ne parlerait pas au Parlement. Mais nous devons aussi agir dans les gouvernements. Je préfère cet engagement à la réalisation d’actions coup de poing. Certes, elles montrent de la radicalité. On en parlera peut-être une fois dans les journaux. Mais, pour les citoyens, elles ne changeront rien. Je me sens plus utile au fédéral. Je m’applique à baisser la facture d’électricité des gens. Je travaille à verdir notre parc de production d’énergie.

Vous vous chargez du dossier énergie à la Chambre. Un accord de gouvernement prévoit la prolongation des centrales de Tihange 3 et de Doel 4 pour 10 ans. Le combat anti-nucléaire marquait un engagement fondateur d’Ecolo. Est-ce un renoncement aux racines idéologiques du mouvement? 

Je ne renonce pas aux racines du parti. Nous défendons une transition progressive de l’ancien monde vers le nouveau. Nous ne pouvons pas tout arrêter du jour au lendemain. Entre 2026 et 2036, ces deux réacteurs doivent fonctionner pour mener une transition douce, progressive vers le renouvelable. Pour la première fois, nous fermons cinq des sept réacteurs belges. Nous ne cédons pas à la folie et à la naïveté.

La lutte contre le dérèglement climatique demande des solutions globales. Avec quatre ministres du Climat, l’éparpillement des compétences ne reste t-elle pas un frein à cette action ? 

En Flandre, la N-VA bloque le train de la transition climatique et énergétique pour l’ensemble du pays. Je ne m’oppose pas à une refédéralisation de la compétence Climat. Elle favoriserait la mise en place de plans et d’objectifs nationaux. Elle empêcherait de discutailler au niveau régional. Les objectifs climatiques revêtent une dimension fondamentale. Pour les générations futures, nos enfants, nos petits-enfants.

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Comment expliquez-vous la dégringolade d’Ecolo dans les intentions de vote  ?

Les électeurs d’Écolo votent pour le changement. Changer représente une épreuve pénible. Nous mettons en place des mutations globales. Aussi bien dans la mobilité, l’énergie, la fin des jets privés. Elles se répercutent sur la société et embêtent une large part de la population. Mais, après quelques mois, on respire à nouveau. Ces transformations deviennent positives et structurelles. Nous existons pour améliorer la société. Nous l’assumons. 

Le plan Good Move à Bruxelles. La taxe sur les voitures les plus polluantes en Wallonie. Mettre de côté le volet social fait partie des reproches qui vous sont adressés. 

 L’écologie, une affaire de riches ? Je refuse ce cliché. Les personnes les plus pauvres souffrent davantage du dérèglement climatique. Pas les gros pollueurs. En Belgique, les inondations ont touché plus fortement les personnes fragiles. Une transition sans justice n’existe pas. Notre écologie s’ancre dans la solidarité et le social. Elle se mène avec et pour les gens.  Et en particulier, pour les plus précaires.

Votre thèse de doctorat porte sur les communs, c'est-à-dire la gestion collective de ressources par une communauté. Vous les désignez comme «un nouvel imaginaire social qui nous sert à aller au-delà du dogme néolibéral du marché mais aussi du dogme de l’État centralisé». Autogestion, autonomie des communautés… Votre vision de la Belgique suit-elle cette tradition prônée par les premiers écologistes ?

 Les communs s’inscrivent dans une perspective de gouvernance par le bas plutôt que par le haut. La démocratie ne se réduit pas à mettre un bout de papier dans une urne tous les 5 ans. Les citoyens doivent s’exprimer facilement, à intervalles réguliers. Le bon fonctionnement et la  santé d’une démocratie en dépendent.

L’année 2024 représente une échéance politique attendue. Elle marque aussi un pas de plus vers un compte à rebours climatique de plus en plus pressant. Comment envisagez-vous ce futur ? 

 Cette élection symbolise une opportunité capitale. Les écologistes endossent un rôle d’une envergure gigantesque. La destruction des écosystèmes, la déforestation, la pollution des océans. Si nous gardons la même allure, nous courons vers la catastrophe. Notre génération peut encore en changer l’issue. L’enjeu : remobiliser les citoyens. Leur faire prendre conscience de l’urgence. Le cadran affiche minuit moins une.

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