Nadia Moscufo (PTB) : à chauds boulets rouges contre le patronat et le patriarcat


Dans En ville On débat
Simon Lesenfants

Photos: Romane Dujardin

BELGIQUE 2024 : CLAP DE FIN ? [2/5]

Nadia Moscufo (PTB), une camarade et femme politique au parcours peu commun. De caissière chez Aldi à députée fédérale : une ouvrière au Parlement.

Photo de Nadia Moscufo

Son accent et ses expressions liégeoises dépeignent ses origines herstaliennes. Une ouvrière oui, mais une femme avant tout ! Ses combats contre les exploitants se lient à une bataille contre la société machiste. Sans pour autant oublier la lutte sur le terrain contre les idées d’extrême-droite. En Belgique, rien ne semble jamais rose. Elle sort les pancartes et les foulards pour espérer changer la couleur. Dans ses objectifs, peindre les prochains bulletins de vote en extrême-rouge.

Vos parents, communistes italiens, faisaient-ils du militantisme politique une affaire de famille?

Avant toute chose, enfant, je n’ai pas grandi dans une ambiance anti-communiste. Cela peut paraître bête, à prime abord. À cette période, toute une partie de l’Europe tentait l’expérience menée par l’Union soviétique. L’époque était différente. D’autre part, mes parents travaillaient tous les deux à la FN d'Herstal. À la maison, nous discutions beaucoup du rapport travail-capital et de la résistance sociale. Mais s’engager n’est pas automatique. Chaque enfant établit ses propres choix. À un moment, j’ai dû me poser la question: « Que vais-je faire de ma vie ? »  À l’époque, je bossais dans la grande distribution. J’y étais même syndicalisée. Je voyais comment les salariés étaient pressés comme des citrons. Je le vivais moi-même !

Vous étiez réticente à vous lancer en politique au début ?

Réticente, non. C’est un processus. Comme femme de la classe ouvrière, s’engager signifie ne pas profiter d’une vie “traditionnelle”. La société nous impose de travailler à mi-temps pour pouvoir repasser les chemises de son mari, aller chercher les enfants à l’école, rentrer faire son ménage. Je n'émets pas de jugement de valeur mais l’engagement politique implique une contradiction avec ce modèle de vie. Dans un second temps, j’ai dû vérifier si le PTB me correspondait. Le parti ne ressemblait pas à celui que l’on connaît aujourd’hui. Il se montrait plus fermé, il construisait ses fondations.

Avant le PTB, vous réalisez un court parcours au Parti Communiste. Que retenez-vous de ce passage ?

Le tissu social se développant dans la communauté. Dans ma famille, nous étions tous membres du Parti Communiste Italien ! J’avais entre dix et vingt ans, je le vivais sans trop me poser de questions. Après coup, cela peut sembler étrange. Je me souviens d’un tremblement de terre à Naples. J’y ai replié des couvertures dans des caisses pour aider. La cohésion et la solidarité entre nous comptaient énormément.

Que trouve-t-on sur votre table de chevet ? Fais le Switch (ouvrage écrit par des élus PTB) ? Le manifeste du parti communiste ? Le Capital de Karl Marx ?

Je ne viens pas d’une culture de la lecture. À la maison, on parlait politique mais il n’y avait pas beaucoup de livres. De mon côté, le PTB m’a vraiment invité à lire davantage. Cependant, mes conditions doivent être respectées pour que je bouquine. J’évite le soir car je suis crevée. Fais le Switch, je suis en train de le lire et le relire. Je veux m’en imprégner. J’ai également parcouru l’ouvrage Ils nous rendent fous de Kim De Witte, notre spécialiste des pensions. Dans ce livre, il nous explique comment le travail casse les gens, les burn-outs, les problèmes musculo-squelettiques.

Lisez-vous les ouvrages de vos adversaires politiques ? La vie large de Paul Magnette ou Le manifeste pour une société régénérée des Engagés ?

Je trouve important de lire leurs publications. Chez nous, c’est le collectif qui lit. On s’entraide. J’ai peut-être un ou une camarade qui va me faire un résumé ou une synthèse. Comme femme politique, les écrits de Paul Magnette m’intéressent. Je dois me renseigner sur les points sur lesquels nos avis divergent ou non, pour contrer ses arguments. Je lis plus volontiers les articles de presse.

Que représente Herstal pour vous ?

Herstal, c’est toute ma vie ! J’y habite depuis ma jeunesse. Je retournais de temps en temps en Italie. Je ne connaissais pas le reste de la Belgique. Notre bassin de vie, c’était Herstal. Son petit magasin du coin, la grande surface sur la place communale, le médecin nous soignant à la maison… Les enfants s’amusaient dans les rues. J’en garde des souvenirs très heureux.

Et vous, que représentez-vous pour Herstal ?

Il existe une différence entre ce que les habitants me renvoient et ma réalité. Pourtant, je prends toujours les retours à leur juste valeur. Je suis fière pour la classe que je représente. J’inspire les femmes, celles de ma génération en premier lieu. Oser faire des choses, oser prendre la parole. Même si je n’ai aucun diplôme ! Tout comme la moitié, de ce qu’on appelle dans notre jargon, la classe travailleuse. Quand ce titre nous manque, inconsciemment ou pas, on ne se sent pas à l’aise au sein de notre société. Les gens sont fiers de cette inspiration.

Le 16 février 1966, les ouvrières de la FN Herstal organisent une grève pour l’égalité des salaires. Aujourd’hui l’écart salarial tourne autour des 5 % (5ème place dans l’UE). La lutte pour rétrécir l’écart salarial demeure encore une priorité ?

Les chiffres donnés concernent les pourcentages en moyenne. Si on regarde secteur par secteur, les écarts diffèrent énormément. La lutte devient même plus capitale aujourd’hui qu’auparavant. Bien sûr que c’était dur avant, là n’est pas la question. Pourtant, j’ai l’impression que l’on vivait dans une phase où l’on pouvait encore arracher des victoires. Le mouvement ouvrier grimpait. Actuellement, il perd des plumes à tous les niveaux : national, européen et international. En face, ils gagnent du terrain. Pouvoir lancer une offensive semble difficile. On stagne plutôt sur la défensive. Il ne faut pas se laisser abattre pour autant. Il reste justement tant à changer. Concernant la question des femmes, actuellement, on assiste à un recul des idées. On peut citer l’exemple de la Pologne et l’avortement.

L’avortement occupe une position importante dans votre parcours. Même si ce droit semble épargné d’une certaine contestation, son inscription dans la Constitution reste-t-elle une priorité ?

J’ai deux enfants. Il y a des jours où je dois réfléchir pour me souvenir de leur date d’anniversaire. Mais je n’oublie jamais le 20 décembre 1979 : le jour de mon IVG. Chaque année, à cette date, un sentiment mitigé me revient. Je souffre encore d’angoisses. J’avais quinze ans et demi. Mais le plus dur réside dans le poids de la clandestinité. On nous range directement dans la catégorie des illégaux. On nous culpabilise.

Une question persiste : où en est-on maintenant ? Cela me fâche. Les partis défendant ce droit ont accepté d’entrer au gouvernement ont tracé une croix dessus. S’accorder sur un compromis n’implique pas de se dispenser de balises. Sur cette question, je vise plus les femmes que les hommes. Nous défilons dans les mêmes manifestations ! Chacune dans son bloc, certes. Mais elles ont accepté le marchandage. « Ça n’va nin ! », comme on dit à Liège.

Comment voyez-vous le féminisme actuel ? La distinction homme-femme supplante-t-elle la distinction travailleur-bourgeois ?

Dans les textes de Karl Marx, on apprend qu’il existe deux classes. Une minorité, les 1%, exploitant le reste. Les 99 % restants vivent par leur force de travail, manuelle ou intellectuelle. Dans cette majorité, on retrouve des hommes et des femmes. Une discrimination spécifique s’intègre à l’intérieur de ce cadre global. Dans notre programme, nous tendons vers plus d’égalité. Mais il faut aussi tenir compte du plafond de verre. Certaines femmes arrivent à passer outre et peuvent devenir cheffes d’entreprises, directrices, ou autre. Encore une fois, aucun jugement de valeur, tant mieux pour elles. Mais n’oublions pas la grande classe travailleuse. Si on observe l’exemple des caissières dans la grande distribution. Je m’y connais, j’y ai travaillé toute ma vie. Majoritairement, elles œuvrent à temps partiel. Soit parce que le patronat leur refuse un temps plein malgré leurs demandes, soit parce qu’elles seraient, soi-disant, demandeuses. Je les respecte, on les appelle les volontaires. Cependant, comme féministe de gauche, on se doit de tenir compte de ce groupe. Après l’observation on se rend compte de la pression de la société machiste. Elle les pousse, inconsciemment ou non, à choisir cette voie. Cette vision patriarcale leur impose des rôles. On peut revenir sur la garde des enfants mais aussi sur les salaires, généralement moins élevés. On se préoccupe à nouveau de la question de l’égalité. Je ne les pointe pas du doigt, j’ai moi-même été confrontée à ce choix quand j’ai accouché de mon deuxième enfant. La pression m’écrasait, j’ai dû aller à contre-courant.

Vous parlez de féminisme de gauche, existe-t-il un féminisme de droite ?

Je ne pense pas. Considérer le féminisme comme seul et unique enlève le caractère de classe. Il existe différentes façons de se focaliser sur la question féministe. Prenons l’exemple de Mme Lalieux. Dans sa réforme des pensions, elle veut sanctionner les employeurs discriminant les femmes de plus de soixante ans. En fermant les yeux, dans l’absolu, on peut se dire "pourquoi pas" ? Peut-être fait-elle partie des femmes qui souhaitent continuer après la soixantaine ? Personnellement, je connais peu de travailleuses avec cette envie d’œuvrer plus longtemps. La pension à soixante-sept ans pousse les femmes dans la merde. Celle-ci les oblige à bouloter davantage malgré les douleurs. Finalement, on prend conscience des différentes manières de se poser la question des femmes.

Cette question vous semble-t-elle être au centre des préoccupations de la Vivaldi ?

Le patronat se sert aussi de la crise pour redonner un coup contre les femmes. La politique actuelle souffre, même avec le gouvernement. Ils insistent sur le fait qu’ils sont le ‘‘gouvernement des femmes’’. Pourtant ils limitent le droit au crédit-temps prônée par les associations féministes. Les femmes des titres-services se cassent le dos face à un patronat hyper arrogant. Le politique ne prend pas suffisamment ses responsabilités par rapport à ça.

Photo de Nadia Moscufo devant une affiche du PTB

Les élections arrivent à grand pas. 2024, c’est presque demain. Comment voyez-vous l’après 2024 ?

Voyons d’abord l’avant 2024 ! Le PTB reste un parti national. On constate la différence de paysage politique entre la Flandre et la Wallonie. Au nord, le Vlaams Belang et la N-VA prônent la scission du pays. Le parti cherche absolument à éviter ça. Cela fait partie de nos responsabilités. La séparation du royaume deviendrait une catastrophe pour les droits des travailleurs. Pas besoin d’être expert en mathématiques pour se rendre compte que diviser la sécurité sociale par deux provoquera un stuut ("un problème", en wallon). Ainsi il faut avancer et marquer des points partout en Belgique. On ne reste pas au balcon, on met nos mains dans la merde, même si certains clament le contraire. De notre côté, on considère cette lutte sur le terrain comme cruciale. C’est facile de dire : « il ne faut pas parler aux fachos ». On n’est pas pour mais on priorise la lutte contre la scission.

Que pensez-vous d’un confédéralisme en Belgique?

Il faut refédéraliser certaines compétences. Sur le climat et l’énergie, on constate un manque d’efficacité. Prenons l’exemple des inondations. Mon camarade Julien Liradelfo ironise : « Lorsqu’une goutte tombe du ciel, elle est fédérale. Quand elle atterrit dans une rivière, elle devient régionale. » Le manque de synergie entre les différentes institutions a mené à la catastrophe. D’un autre côté, nous pensons également que certaines politiques, dans leur application, puissent devenir régionalisées car les réalités du terrain divergent.

Le PTB se sent-il prêt pour à gouverner ?

La situation semble délicate aux niveaux régionaux ou fédéral. Nous, on se pose la question : que veut-on vraiment faire ? Si je reprends les exemples donnés plus tôt (le marchandage sur l’IVG et la pension à 67 ans), les partis de gauche assurent ne rien lâcher. Que voit-on comme résultats aujourd’hui ? Nous, si on veut gouverner, on a besoin de partenaires qui ne laissent rien tomber. Pour l’instant, nous n’en voyons pas beaucoup.

Une alliance de gauche inspirée par la NUPES française, ça vous tenterait ?

Nous avons besoin de reconstruire un large front anti-fasciste. Une sorte de charte minimale où tout le monde pourrait se rejoindre. Les partis tout comme les associations. Nous avons alors lancé une initiative, la coalition 8 mai. On s’efforce de faire reconnaître cette date comme fériée car elle représente la victoire contre le fascisme.

Un copier-coller de l’alliance gouvernementale semble invraisemblable. Mais un bloc reste possible. On le voit au parlement. Quand il faut lutter contre les fachos, une alliance PS-PTB émerge plus rapidement. Ce n’est pas de l’ordre d’une déclaration commune ou similaire, mais un point commun existe.

Quelle est la personnalité flamande dont vous vous sentez le plus proche ?

Bruno Verlaeckt, le président de la section d’Anvers de la FGTB. Premièrement, il soutient l’unité du pays. Deuxième raison, il a été criminalisé par le pouvoir lors d’une lutte sociale. Il a mené un combat rude avec fierté même si, de nos jours, on essaye de criminaliser les syndicalistes et les mouvements sociaux.

Conseilleriez-vous aux autres partis de reformer un parti unique comme le vôtre ? Il y a-t-il encore un avantage à cette formation ?

En fragmentant les partis, on entretient de manière négative la division de la classe travailleuse. Se rassembler sous un parti national nous demande une énergie considérable. L’exemple du non-bilinguisme en est la preuve : il ne facilite pas l’unité. Imaginons la venue d’un martien sur notre territoire. À son arrivée, on tente de lui expliquer qu’une caissière de chez Aldi au nord n’arrive pas à discuter de ses conditions de travail avec une caissière du sud. La seule solution étant un service de traduction. Que penserait notre visiteur ?

Traduire dans les deux langues requiert beaucoup d’énergie mais on y tient comme à la prunelle de nos yeux ! Si on ne le fait pas, les gens se replient sur leur propre région. On ne nie pourtant pas les différentes sensibilités à Liège, à Namur ou dans le Hainaut !

Les discussions avec Steven De Vuyst ou Greet Daems (députés fédéraux du PTB) au Parlement vous exposent-elles à des différences irréconciliables entre nos régions ?

Je suis confrontée chaque semaine à mes camarades néerlandophones. La première chose qui me saute aux yeux, ce sont nos points communs. Steven De Vuyst parle français et Greet Daems fait tout son possible pour y parvenir. Je peux vous dire que le mythe des Flamands plus froids et moins rigolos, c’est des couillonnades ! D’accord, les sensibilités diffèrent, tout comme le panel politique et la perception de certains sujets. Nous pensons pourtant qu’une richesse se cache dans ces éléments. Tout est loin d’être irrécupérable, que nenni !

Si nous reprenons le cas des pensions, il n’existe pas de situation où une dame des titres services en Wallonie, qui râle parce qu’elle est pourrie et tout le temps en training, veut absolument partir à soixante ans, alors que sa collègue flamande pète la forme et veut travailler jusque soixante-sept ans. Sur ces questions-là, la réalité se montre identique.

Certaines personnalités flamandes du PTB telles que Sophie Merckx ou Johan Vandepaer, viennent habiter en Wallonie. Est-ce que vous pourriez, vous-même, aller vivre en Flandres ?

J’aurais tellement aimé. À un moment donné, je me suis même demandé si je changerais pas un peu d’air. J’aurais pu aller renforcer la section anversoise du PTB pour aider Peter Mertens à percer. Je l’aurais vraiment voulu mais je ne parle pas néerlandais. Le problème de la langue ne me le permet pas.

Le PTB pourrait-il survivre sans ses fortes têtes comme Raoul Hedebouw ou Peter Mertens ?

Nous subissons une grande pression pour devenir un parti ordinaire. Plus notre popularité augmente, plus cette charge nous suit. Tellement que, à un moment, l’action publique via le Parlement prend le pas sur nos autres formes de combat. On préfère mettre l’accent sur nos camarades, ceux qui vont dans les sections, sur les marchés. Ils abattent un boulot de dingue. Parfois plus important que moi et ma petite question à M. Dermagne en commission. On poursuit leur formation, on pousse les jeunes à s’imposer. L’essentiel est ici. On accorde une importance capitale à nos sections d’entreprise. Nous demeurons un parti de lutte. La survie du PTB en dépend. Certes il nous faut des porte-paroles connus et reconnus qui inspirent les gens. On a Raoul, on a Peter mais aussi Sophie. On est fière de nos camarades féminines qui se mettent en avant malgré la pression de la société patriarcale.

Une femme pourrait-elle remplacer Raoul Hedebouw ? Pourquoi pas Sophie Merckx ?

L’accompagner, peut-être ! Raoul n’est pas proche de la retraite ! Sophie nous guide déjà, à sa manière, comme cheffe de groupe au Parlement. J’en suis fière ! Germain [Mugemangango, président de groupe au Parlement wallon] aussi a son style, Jos [D’Haese, futur chef de groupe PTB au Parlement flamand] également. La diversité fait partie de nos atouts, tout comme la jeunesse. Nous devons nous focaliser sur la nouvelle génération. Moi, je peux mourir mais mon parti doit persister. De plus, des porte-paroles jeunes inspirent les citoyens du même âge. Toute notre diversité se retrouve dans ceux qui portent haut et fort nos idées. Peu importe leur métier : ouvriers ou même aide-ménagères. Sans eux, sans Raoul, Germain, Sophie ou Jos, le parti ne symbolise peu de choses. On invite les gens à nous rencontrer en chair et en os car nous ne sommes pas uniquement des idées. Les citoyens ne connaissent peut-être pas nos responsables de sections mais ils retiennent Raoul. Il reste hyper populaire.

Briguez-vous un nouveau mandat l’année prochaine ?

Je croise les doigts, si la santé suit, je rempilerai. J’ai passé la soixantaine, je me sens fatiguée. Heureusement, je peux compter sur la bienveillance de mon parti. Je reste militante. Je ne pourrais rien faire d’autre.

Phot à l'extérieur de Nadia Moscufo

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