Trinkhall : la force fragile


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Ariane Kandilaptis

Photos : Ariane Kandilaptis

Depuis le 18 juin 2020, le Trinkhall museum a succédé au MADmusée. Cette nouvelle structure nichée au cœur du Parc d’Avroy a inauguré cette année sa nouvelle saison, « Des lieux pour exister », la deuxième pour ce jeune musée. Mais qui sont les artistes qui exposent dans ce lieu ?  Carl Havelange, directeur du Trinkhall, présente cette collection.

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La particularité du Trinkhall ? L’origine des œuvres exposées et des artistes. « Notre collection est constituée d’œuvres d’arts exclusivement réalisées en contexte d’ateliers par des personnes fragiles, généralement en situation de handicap, de déficience cognitive, de maladies psychiques, etc. », explique Carl Havelange, son directeur. Les pièces viennent du monde entier : Amérique, Asie, etc.

Désigner sa collection

Quand un musée sort de terre, il faut se poser la question de son identité,  et le Trinkhall n’a pas dérogé à cette règle : « On s’est demandé comment désigner cette collection : aujourd’hui, on parle communément d’art brut ou d’outsider art. Désignation d’autant plus évidente que l’art brut a actuellement le vent en poupe d'un point de vue commercial ».

L’art brut est un concept créé par le peintre et théoricien de l’art Jean Dubuffet. Après la seconde guerre mondiale, il dévoile une collection qu’il a rassemblée et qui reprend des œuvres issues d’asiles psychiatriques ou réalisées par des marginaux (des prisonniers, des personnes vivant à la limite du social, etc.). Il a construit cette notion pour désigner ce genre d’expression artistique.

Carl Havelange

« Ce concept repose, en gros, sur l’idée que ces artistes n’étaient contaminés par aucune influence culturelle ou académique. À ses yeux, c’était une forme d’art totalement libre d'ancrages, d’histoire, etc. Et, étant donné cette liberté et cette “aculturité”, il était supposé révéler une sorte de vérité de l’art, comme s’il y avait une sorte de création universelle. […] On peut considérer que c’est là une conception très essentialiste de l’art, c’est-à-dire qu'elle donne à penser que l’art répond à des critères universels. Dans le cadre de Dubuffet, c’est un art de rébellion, contre-culturel (ce qui s’explique historiquement car, après la Second Guerre Mondiale, l’art avait montré des effets dévastateurs). Deuxième caractéristique : l’idée que l’art est le produit d’individus, donc individualiste ». 

 

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Du brut au contemporain

Ce concept de l’art brut développé par Dubuffet n’est pas du tout celui que le Trinkhall veut délivrer par rapport à ses œuvres exposées : « Notre collection est aux antipodes de ces caractéristiques. Tout d'abord, les œuvres que nous abritons sont réalisées en atelier donc en collectif. Ce dispositif, aussi singulier qu’il paraisse, est ouvert aux personnes fragiles et c’est un endroit où on fait société, on travaille au coude à coude, et on produit ce que j’appelle un art compagnon. Les artistes sont accompagnés par leurs mentors, qui sont eux-mêmes artistes de profession ou de vocation. Cela n’enlève rien à l’individualité expressive des artistes qui les fréquentent, mais c’est un collectif ».

Et après toutes ces réflexions sur l’identité de leur établissement, ses responsables ont décidé de se tourner vers un musée d’art moderne  : « On a suspendu la question de ces catégories là (art brut, art outsider, etc.). On s’est rendu compte que, quand on analyse la collection, elle nous paraît tellement riche et tellement diverse qu’on ne peut pas lui assigner une catégorie unique : elle n'a pas de cohérence esthétique », juge Carl Havelange. « On se définit comme un musée d’art contemporain qui a l’ambition d’adresser au présent les questions qui importent ». Un nouveau nom s’imposait : « Trinkhall », reprenant ainsi celui d’un établissement de dégustation situé à cet emplacement dès 1880.  

Car ce qu’on pourrait qualifier de « fragilité » constitue, pour le musée, une force : « On parle de la puissance expressive des mondes fragiles. Elle nous tend un miroir qui nous renvoie à nos propres fragilités, dans un monde marqué par les crises sanitaires, géopolitiques, etc. On ne peut plus faire l’impasse sur la fragilité structurelle de nos êtres. Notre programme muséal, au départ de la collection, permet de penser beaucoup plus large ». La particularité des ateliers tels que ceux du Créahm : ils sont ouverts à des personnes fragiles dans une perspective exclusivement artistique. Leur but n’est pas thérapeutique mais vise la création artistique comme une pratique épanouissante, génératrice de bien-être pour les participants.

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Bob Verschueren, artiste partenaire

« Des lieux pour exister »

En suspendant la question des catégories (art brut, outsiders art, etc.), le musée a arrêté de regarder la collection avec la focale du monde de l’art. « On a inversé le paradigme, pour observer le monde avec les yeux de la collection. » Les thématiques saisonnières se chargent de problématiques générales : « Les crises que nous traversons, géopolitiques, climatiques, sanitaires, etc. ont toutes pour conséquences une reconfiguration des lieux. Nous n’habitons plus de la même manière les lieux qui nous étaient familiers. On en a tous fait l’expérience dans le cadre du confinement. Et nous ne rêvons plus tout à fait nos ailleurs de la même façon », développe Carl Havelange. L’exposition considère que l’actualité nous invite et nous impose de reconsidérer l’idée même de lieu. 

Celle-ci jalonne le fil conducteur de cette exposition : « Notre société occidentale est construite autour de l’idée que le monde (l’espace, la nature, etc.,) est à la merci de la conquête de l’homme. L’actualité et ce que nous vivons aujourd’hui nous invitent à penser le monde avec un peu plus de modestie. Et là, on se rend compte qu’on s’est cassé la figure avec cette vision d’un espace toujours à conquérir. En travaillant sur la collection, nous avons découvert que les œuvres que nous conservons se révèlent souvent porteuses d’une célébration inconditionnelle de l’ici. L'événement propose une réflexion autour de la nécessité générale de l’ici, de la nécessité de retisser des liens avec les lieux qui sont les nôtres ».

Ce que vous pourrez y voir :

L’exposition compte une trentaine d’artistes de la collection et trois partenaires : Anne De Gelas, Bob Verschueren et Maurice Pirenne. La collection est mise en scène de façon à ce que chaque auteur ait plusieurs œuvres à exposer, comme si s'égrainaient plusieurs expositions monographiques : « Le meilleur service qu’on peut rendre à la cause du handicap et des fragilités ? Nourrir à l’égard de la collection et de nos expositions une très haute exigence artistique ! », lance Carl Havelange. 

Pedro Ribiero 

Outre sa fragilité, cet artiste devient peu à peu aveugle. Au fil de son travail, ses peintures acquièrent une sorte de dimension de matérialité, sans cesse accrue. Les personnages représentés sur ses toiles ont tendance de plus en plus à s'effacer. Il les recouvre de couches de peintures successives qui finissent quasiment par transformer ses tableaux en sculptures. Ce processus renvoie à une métaphore de la cécité : rendre visible ce qu'implique de ne pas voir. 

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Michel Petiniot

Une notice du Trinkhall détaille : « Michel Petiniot fréquente les ateliers du Créahm, à Liège, depuis une trentaine d’années. Chez lui, les traits saturent l’espace de la représentation, qu’elle soit en couleurs ou en noir et blanc. On peut également admirer, dans l’exposition, deux tapisseries. Elles sont issues d’un triptyque et résultent d’une collaboration inédite entre Michel Petiniot et Brigitte Corbisier, installée en résidence au sein des ateliers du Créahm de Liège pendant plusieurs mois. Les deux artistes partagent un même goût pour le végétal, les insectes ou encore les oiseaux de nos jardins »

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Julien Deliège réalise des architectures en céramique rêvées et organiques. À ses yeux, il s'agit de portraits de personnes qu’il aime.

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