Chartreuse : un air de résistance culturelle


Dans Culture En ville
Nathan Cloes et Nicolas Gobiet

Photos : Nicolas Gobiet

Un musée à ciel ouvert éclot sur les hauteurs de Liège. Au parc de la Chartreuse, l'opposition au projet Matexi de construction d'appartements prend des formes diverses. Peinture, sculpture, musique, poésie. Créer pour déconstruire, une autre vision de la ZAD.

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Rive droite de la Meuse. Plusieurs hectares de bois offrent aux promeneurs l'occasion d'admirer les diverses espèces d’oiseaux et de se perdre aux travers des ruines de l'ancienne forteresse. Mais depuis plusieurs années, un projet immobilier inquiète. Et les amoureux de la nature comptent bien défendre ce parc au travers d’une lutte tant politique qu'artistique.

La culture de la récup'

Au-delà des premières barricades se confondant parfois avec les arbres, un chemin de terre mène au campement. Une structure, située au cœur de la forêt, étonne par ses décorations psychédéliques et son abondance de styles. A mi-chemin entre l’art brut et urbain, le cyberpunk et la sculpture. Une cabane composée par Jules (nom d'emprunt), un zadiste. Un terme pour qualifier ses œuvres ? « Vagabond », de ses propres mots.  Il sourit : « Je travaille beaucoup avec des matériaux de récupération ». Celles-ci mêlent palettes, pare-chocs de voiture, mannequins de paintball, lustres, roues de vélo, etc. Le tout s'assemble pour former un lieu de vie unique. Aux côtés d'autres militants, il offre une seconde vie à des objets provenant des quatres coins de la ville. « Environ trois à quatre camionnettes viennent par semaine amener des affaires ». Chacun se sert à sa guise librement et surtout gratuitement.

Plus loin dans la Zone, divers équipements de chantier illuminent le décor. Par exemple, le « Love Space », un endroit aménagé par un professeur très actif auprès des riverains. Ici, tout vient de la récupération. Rien ne se jette et tout s’invente, dans une dynamique écologique et symbolique. La dimension hybride des lieux reflète la diversité des ses militants. « Une ZAD réunit plein de gens qui viennent de milieux différents mais qui partagent une cause commune », résume Félicien Bogaerts, journaliste à la RTBF et réalisateur. Le cinéaste choisit d'ailleurs cet endroit, le 16 avril dernier, pour projeter sa série Diamant Palace. Cette œuvre tissant le rapport de l’homme à la nature est projetée sur un écran bancal, au milieu des arbres. Un film politique diffusé dans un environnement contestataire : en plein dans le mille.

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Un art politique ?

«Je ne m'intéresse pas à la politique, je pratique mon art pour moi. Toutes les formes d'expression restent les bienvenues dans le bois sauf le fascisme », édicte un jongleur, éloigné du groupe. Au premier abord, la culture ZAD paraît fortement ancrée dans l'anarchisme et l'écologisme militant. Mais, résumer un ensemble aussi bigarré de personnes et de pratiques à une couleur politique n'aurait pas de sens. Certes, peu de chance de croiser un fervent défenseur de Matexi au milieu des barricades, mais les écologistes ne partagent pas tous la même vision de leur création. Nombre d'occupants réfutent totalement le terme d'art politique. D'autres ne souhaitent pas intellectualiser leur pratique, déclarant « créer uniquement pour le plaisir », passer le temps ou se divertir.

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Si la vocation de la culture zadiste ne s’avère pas toujours politique, son esthétique reste un vecteur d'idées fortes. Les nombreux traits d'esprits accrochés aux arbres en témoignent : « Le temps sera révolu si on ne fait rien », « La colère ôte nos sourires », parmi tant d'autres. Les diverses peintures ou sculptures cachent également de multiples symboles et messages poétiques.

Parfois militant, parfois apolitique, l'art hétéroclite de la Chartreuse vise avant tout la potentialité d'un partage. 

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Une Zone à Partager

Ayant tout perdu suite à l’incendie de sa caravane, un nouveau membre a récemment fait son irruption au sein du camp. Son seul bagage : une guitare sèche offerte par des amis squatteurs. « Je doutais un peu en arrivant, je n'apprécie pas les leaders. Mais une fois arrivé j’ai immédiatement trouvé un sentiment d'abandon et de calme ». Des militants déjà présents sur les lieux lui prêtent une tente pour s’abriter la nuit. « On partage tout, pas besoin d'une toilette ou d'une cuisine individuelle pour chaque campeur », assure ce quarantenaire. Une conception profondément communautaire et anti-capitaliste. Et l’art dans tout ça ?

Il participe à créer une communauté d’idées, de réflexions, d'ouverture. Aucun doute de ce point de vue du côté des zadistes présents. Le cabanon de Jules, l’artiste vagabond, l'illustre. En plus de la scène ouverte, il y installe également une petite bibliothèque sur le folklore liégeois, ainsi qu’un coin peinture. « J'aimerais bien aussi ouvrir un endroit pour les enfants », se réjouit-il en brandissant un dessin d'un bambin de neuf ans. Les projets pleuvent.

Un feu s’allume, et un groupe s'amasse autour. Les échanges s’animent. Un membre de la communauté récuse le terme de ZAD. L'acronyme sonne trop guerrier à son sens. Il préfère parler de zone verte à protéger, ou de zone à partager. Selon lui, l’esthétique que l’on peut retrouver dans la Chartreuse demeure synonyme d’ouverture. L'objectif d'attirer les riverains aux alentours et de solidifier la mobilisation autour du parc récolte le consensus. « On ne cherche pas à agresser les gens. On veut garder une énergie pacifiste avec des messages positifs ».

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D’autres membres ne voient pas les aspects esthétiques du camp comme un outil politique ou pacifique mais simplement comme un moyen d’expression. « Je produis des œuvres surtout pour moi et pour les autres », clarifie un des membres. Réunis autour d’une envie commune de création, ces artistes réalisent chaque jour des performances variées. Jonglerie, graff, poésie, musique, peinture... la liste semble sans fin. Cette activité redonne vie à un bois qui, sans ces occupants, agoniserait. Contre le rouleau-compresseur, des œuvres à couper le souffle germent au sein du dernier poumon vert de Liège.

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