Pierre-Louis Rivière, auteur « picoreur de rue »


Dans Culture
Naomé Desprez

Photos : Naomé Desprez

Pierre-Louis Rivière est écrivain solitaire, saxophoniste le jeudi soir, comédien les jours de pluie et voyageur lorsque le monde tourne. Il n'a pas d'âge et porte des chemises aux couleurs de la vie. Son dernier livre, Vertige, a reçu le prix « Flamboyant »,  récompensant les auteurs régionaux. Il est distribué à l'île de la Réunion, son île natale.

« Puis-je prendre cette chaise ? », demande une femme. « Oui, mais attention à mon ami fantôme qui est dessus s'il vous plaît ». La femme saisit la chaise. « Oups voilà, il est tombé par terre », répond notre auteur, désemparé. Aujourd'hui, Pierre-Louis Rivière nous donne rendez-vous dans un bar en bord de mer. Le soleil décline, le serveur apporte deux thés à la menthe, avec beaucoup de sucre.

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Pierre-Lous Rivière, écrivain espiègle. 

Vous écrivez sur les fantômes : celui d'une inconnue, et ceux de l'enfance. Qu'est-ce qui vous intéresse dans l'image du fantôme ? Son appartenance au passé ou son apparition dans le présent ?

J'ai combien d'heures pour répondre ? Les deux me fascinent. Dès qu'on écrit des histoires on est hanté par le passé, par les souvenirs fondateurs de l'enfance. On peut appeler ça des fantômes. Concernant le présent, on touche aux croyances de chacun. À La Réunion, l'image du spectre est très prégnante. Traditionnellement, les familles ressentent et entendent la voix des anciens. On parle aussi de maisons abandonnées à propos desquelles les Réunionnais inventent des légendes : ils projettent des fantômes sur le lieu. S'il y a eu un acte violent, ou un meurtre, l'aura redouble de mysticisme.

Pourquoi ce titre : Vertige ?

J'ai d'abord pensé à un titre classique de genre policier : La maison Piège, ou : Une femme disparaît. Mais la pseudo histoire policière constitue un leurre. Tout roman ne cache-t-il pas toujours une forme d'enquête ?

Le motif du tourbillon revient souvent dans mon livre : le jeu de l'oie, le cyclone. Mais « Tourbillon » pour un titre me semblait trop imagé. Alors est venue l'idée du Vertige. Le personnage principal en subit, à cause des effets secondaires de ses médicaments. L'éditrice a validé.

Capture d’écran 2021-09-13 à 07.46.39 L'auteur est originaire de l'île de la Réunion, où il a été récompensé pour « Vertige », son dernier ouvrage

Ce personnage principal se réfugie souvent dans la nature. On sent que vous y portez une  sensibilité particulière. Est-elle le creuset de votre inspiration ?

La nature n'est pas une forme de nostalgie mais plutôt un sujet fondamental, elle nous construit. On y revient toujours. J'aime marcher dans les paysages de la Réunion. J'y vois des choses étonnantes et l'écriture confère l'opportunité de les convoquer de nouveau. Dans Vertige, le rapport des personnages à la nature se veut érotique. Ils s'y retrouvent pour s'adonner à des plaisirs intenses. Aussi puissants que la nature à la Réunion, qui nous confronte au monumental : immensité de la mer, montagnes comme des géants, climatologie particulière,  cyclone.

Vous identifiez-vous à Joseph, personnage principal du livre, ou est-il une invention ?

Il relève de la fiction. J'avais besoin d'un arpenteur pour prendre en charge la dimension du passé. Alors j'en ai créé un.

Comment jouer avec le réel et l'imaginaire ? Pour moi celui-ci n'existe pas. Une autre chose fondamentale le remplace : l'attention à ce qui nous entoure : un film, un livre, la position d'un corps dans l'espace, une dispute qui éclate dans la rue, une discussion aux abords d'un marché. Voilà ce qui constitue notre matière d'écrivain. Si on se montre extrêmement attentif, même à partir d'un endroit totalement désert, on peut raconter une histoire. Beaucoup de gens ne voient rien, ils se laissent brouiller. La rue recèle de pépites, elle contient une archéologie du réel et du présent. On y opère un collectage. Soit on ramasse dans sa tête, soit dans un carnet : on est des picoreurs de rue.

Donc même si un ouvrage se veut fictif, les inspirations du quotidien restent inévitables ?

Fatalement, car l'auteur parle de ce qu'il connaît intimement. Au théâtre on dit que l'on ment. Et quand le spectacle se révèle bon on dit qu'on ment vrai.

Vous avez « menti vrai » au cours de cette interview ?

Très certainement.

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