Une nuit sous les bombes colorées


Dans Culture En ville
Florine Berger

Photo : JarkkoManty (Pixabay)

Rarement légaux, les graffitis teintent la cité ardente. Des ponts, des tunnels, des trains, le toit d’un supermarché… Telles sont les cibles des quatre membres du « crew » VHS – acronyme désignant aussi bien « Vandales hors-série » que les cassettes vidéo. Ils escaladent et rampent dans l’obscurité, bombes de peinture à la main, inspiration dans le crâne, amende pendue au nez.

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« On va devoir traverser l’autoroute. Le spot est de l’autre côté. » Sesko – c’est son « blaze » - gravit le premier le talus glissant. Les ronces agrippent leurs vêtements, leur écorchent la peau et rendent difficile la préhension des arbres utile à l’ascension. Les lampes de poche des téléphones sont tournées vers le sol, juste assez pour voir où ils mettent les pieds sans être visibles de la route. Une fois derrière la glissière de sécurité, il faut se tapir dans l’herbe humide et rester immobile au risque d’attirer l’attention des automobilistes. Ils sont peu nombreux à cette heure, mais les quelques camions qui frôlent ces intrus à vive allure soulèvent brusquement l’air et leur rappellent leur domination. La voirie libre, il est temps de courir. Traverser les trois bandes, enjamber la berne centrale et continuer sur leur lancée jusqu’au rail suivant. Le mur anti-bruit est déjà signé, peu importe. Ils doivent apposer leur nom dans le plus d’endroits pour se faire connaître, mais pas des forces de l’ordre. « En cas de problème, c’est chacun pour soi et personne ne se connaît », avertit Sesko. Les bombes secouées et les « caps » fixés, les graffeurs se découvrent sur la bande d’arrêt d’urgence et bravent fièrement l’interdit. L’odeur enivrante de la peinture fraîche emplit les narines tandis que le bruit fugace des aérosols transporte dans un atelier d’artiste. Alors, le crissement des pneus sur le bitume se rapproche et ramène à la réalité. Nous sommes au beau milieu de la nuit quelque part sur la A604. Et au moindre véhicule, c’est la course. Les garçons se dissimulent là où une cachette se présente : Sesko et son acolyte à la casquette 1lone soulèvent une grille de fer et s’engouffrent dans la terre ignorant ce qu’il y a sous eux. Les deux autres fugitifs d’un soir, Somer et Aspek sautent le garde-fou et s’allongent dans les feuillus.

Demi-tour de passe-passe

Une nouvelle automobile se dessine, mais en plein travail, Somer n’a pas le temps de déguerpir. « Couche toi par terre et ne bouge plus, ils te verront moins que si tu cours », lui conseille 1lone, accroupi dans la végétation. Le commentaire de Sesko fuse : « Ça fait un peu cadavre. Moi je vois un mec allongé sur le bord de la route, je m’arrête pour voir s’il est vivant. » L’ambiance est légère, tout comme l'atmosphère. Les klaxons des conducteurs qui les repèrent brisent la symphonie des propulseurs à gaz et rappellent l’illégalité de ce qui ressemble presqu’à un jeu. Jusqu’à ce qu’une de ces voitures accroche l’œil de Sesko, les doigts couverts de couleur chrome et le pantalon boueux : « Je sais pas ce que c’était la camionnette qui vient de passer, mais j’ai vu un gyrophare. Un truc de sécurité ou quelque chose comme ça. Ils risquent de faire demi-tour. On remballe les gars ! » Le sac rempli de bombes s'élève dans les airs pour passer d’une main à l’autre et heurte le sol dans un tintamarre métallique. Un grand « VHS » argenté serti de noir habille désormais la paroi de fer. « On va aller au second spot », annonce Sesko une fois tout le groupe dans la descente, les semelles patinant sur la terre mouillée. Sous le pont abritant une route en cul de sac de l’autoroute, les idées fusent et l’irrépressible envie de marquer ici aussi leur territoire l’emporte à nouveau sur le risque. Ils ressortent le matériel et graffent chacun leur blaze sur les murs de béton lisses en prenant soin de ne pas couvrir ceux déjà peints. Le « toy », l’effacement de l’art d’autrui, c’est non. Question de principe. Une touche de bleu turquoise vient alors parfaire le blaze de Somer tandis que Sesko termine son œuvre avant d’y apposer la signature du « crew ». VHS a encore frappé.

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