Mal-être étudiant : « La solitude nous terrifie plus que le virus »


Dans Dans l'actu À l'unif On débat
Esther François et Ariane Kandilaptis

Depuis plus d’un an, la population est confrontée aux difficultés liées à la crise du covid. Les étudiants n’y échappent pas. Conscients de ces difficultés, Pierre Wolper, recteur de l'Université de Liège, et Valérie Glatigny, ministre de l'Enseignement supérieur, répondent au question du Studiobus.

rediDSC00458 Interview de Pierre Wolper avec notre journaliste Esther François. Photo : Ariane Kandilaptis

La difficulté des cours à distance

« Le virus fait peur, mais la solitude encore plus », décoche Ayse, étudiante en Médias, Culture et Communication à l'Université de Liège. En décrochage scolaire, cette jeune femme éprouve énormément de difficultés à suivre les enseignements en ligne. « Pendant le premier confinement, j’adorais les cours à distance. Mais, maintenant, je prie pour un retour au présentiel : ça commence à devenir trop lourd d’être tout le temps à la maison, face à un écran, avec zéro concentration, zéro motivation. ». Même ressenti pour Maxime, étudiant en Design industriel à l’ESA Saint-Luc : « C’est vraiment délicat car il y a des cours qui ne se prêtent absolument pas à l’enseignement en distanciel. Mon école demande beaucoup de travaux manuels. Le travail devient impersonnel et les affinités et les interactions avec nos camarades diminuent. On se lève le matin pour parler à notre ordinateur, puis on l’éteint avant d’aller dormir pour recommencer le lendemain ». Pierre Wolper, recteur de l’Université de Liège, se montre conscient des conséquences de la solitude : « Se retrouver isolé et et perdre tout contact peut entraîner un état psychologique négatif ». Valérie Glatigny renchérit :  « Le virus a volé des mois très précieux dans une année académique. Apprendre les codes de l’Enseignement supérieur, ça ne se fait pas derrière un écran. Le rythme dodo - ordinateur, dodo- ordinateur, c’est très frustrant. A cet âge-là c’est important d’avoir des contacts ».

Capture d’écran 2021-05-07 à 17.26.14 Post anonyme sur la page Facebook « ULG Confessions »

Leurs messages aux politiques

De tels témoignages de détresse (voir ci-dessus) répondent aux mesures prises par le gouvernent. Les jeunes rencontrés ressentent le besoin de s’exprimer, de tancer les personnalités politiques : « Il est temps de trouver des solutions plutôt que de simplement parler sans cesse du problème. Il semble urgent de réagir à notre mal-être », lance, comme un cri du cœur, une étudiante en psychologie. Les restrictions de la vie quotidienne pèsent également sur ces étudiants. Les figures politiques se sont-elles mises à leur place ? Certains en doutent : « J’ai aussi l’impression que les hommes et femmes politiques ne sont pas en contacts avec des étudiants au quotidien. Quand je vois que les seuls assouplissements majeurs qu’ils permettent sont à destination des moins de 18 ans, je fulmine. Les camps de scouts sont autorisés pour cinquante enfants, mais on ne peut même pas aller au cinéma avec un masque pendant 1h30, sérieusement ? »

D’autres sources, plus nuancées, concède que la situation semble complexe à gérer : « Les personnalités politiques doivent avant tout protéger leur population », tempère un étudiant en master à HEC. De son côté, le recteur de l’ULiège discute avec les ministres de la FW-B pour trouver des solutions : « On a des contacts avec les ministres de la Fédération. Ils sont tout aussi sensibles à la situation que nous, ils ont pris une série de mesures d’augmentation des aides sociales ». Avec ses allers-retours entre confinement et déconfinement, la Belgique a adopté une autre stratégie que certains de ses voisins européens. Mais certains étudiants pensent que la stratégie d’une fermeture aurait été plus judicieuse. « J'imagine que c'est compliqué de prendre des décisions dans un cadre nouveau comme celui-là. Néanmoins, je pense qu'ils auraient dû se montrer beaucoup plus stricts et tout fermer pendant un mois ou deux pour endiguer l'épidémie », juge un jeune resté anonyme.

Les études, mais pas que…

Les étudiants ont souffert des cours en ligne, mais la majorité d’entre eux évoque aussi l'impact nocif d'une vie sociale en décrépitude. Pour les jeunes qui commencent leurs études supérieures, cette impression semble d'autant plus prégnante : « Pour l'instant, les 1er bachelier ont tous les côtés moins drôles (étude, examens, pression)... Sans pouvoir les contrebalancer. Impossible de se faire de nouveaux amis dans leur faculté ou de profiter du folklore estudiantin (baptême, chapis, Bal ULiege, festivals, le Carré,..) », déplore Maxime. Et il n’est pas le seul à se soucier des premières années. « On sait bien qu’une année dans le supérieur, ce n'est pas juste la réussite qui compte, c’est le réseau d'amis qu’on se fait. […] », explique la ministre Valérie Glatigny. On a mis en place des aides spécifiques pour les bac 1 car on sait que les étudiants qui arrivent dans l’Enseignement supérieur ressentent plus de solitude, ils n’ont eu que quelques semaines pour nouer des contacts ».

Les témoignages d'étudiants récoltés par Studiobus s'accordent sur le cruel manque de contacts sociaux quotidiens, qui régissent habituellement la vie parallèle aux études. « En tant qu’étudiant, on a besoin de sortir, se défouler, prendre l’air. De voir et de parler à d’autres personnes que celles qu’on voit à travers notre écran - et encore, on n’active pas toujours nos caméras et, parfois, les cours prennent la forme de podcast », rappele Ayse. « On ressent une envie de quitter notre chambre et notre bureau, d'entreprendre une autre activité que la cuisine ou les devoirs... C’est comme si on n’avait plus les moyens de s’amuser avec les choses qui sortent du quotidien ».

Le recteur de l’Université de Liège a lui même des enfants et assure qu'il reste très attentif à la situation  :  « Il y a clairement des situations difficiles pour certaines personnes. On a des services qui prennent en charge ces situations difficiles. S’il y a des mails de détresse qui arrivent, on les envoie vers des services pour les aider. On vit depuis un an une situation extrêmement difficile, c’est loin d’être facile pour les étudiants ». Pour la ministre de l’Enseignement supérieur, même constat : « Normalement, on ne reçoit pas tant de messages d'étudiants. Je pense que le stress, l’isolement et la détresse sont des faits indéniables ».

Certains pensent au suicide

Sur la plateforme Ulg Confessions, beaucoup de témoignages arborent des pensées suicidaires. Ayse n'y voit rien d'étonnant : « Certains n’ont pas de bonnes relations avec leur famille et restent seuls en permanence. D'autres n’ont plus de revenus, ne peuvent plus manger à leur faim. Il y a peut-être des esseulés, qui ne bénéficient ni d’amis ni de proches, n'ont personne avec qui discuter de leur détresse. Je trouve ce constat triste et pesant. Même les personnes les plus fortes mentalement peuvent souffrir de tous ces problèmes et tomber dans une dépression, voire songer au suicide ». Une de ses camarades renchérit : « Je pense que le manque de perspective peut tuer tout espoir en l’avenir. Si quelqu’un n’est pas bien entouré, c’est compliqué de se motiver et de ne pas se démoraliser. Les études ne puisent-elles pas leur intérêt dans tout ce qui les entoure (contacts, sorties, partages de galère, etc) ? » Espérons que l'été qui approche leur apporte une bouffée d'oxygène salvatrice. 

Partager cet article