Presse et réseaux sociaux, éternelles tensions


Dans On débat
Miléna De Paoli

Depuis l’arrivée d’Internet et l’avènement des réseaux sociaux, notre façon de consommer l’information a radicalement changé. Au point de remettre en question notre rapport à la presse et à l’information. On fait le point sur la situation.

Avant l’arrivée d’Internet, la presse contrôlait la véracité et le flux de l’information. La télévision, la presse écrite et la radio innervent alors les moyens d’information de la population. Depuis, Twitter, Facebook, Youtube et consorts ont fait leur entrée sur le web. Ces nouvelles plateformes ont poussé à consulter différemment, contraignant les organes de presse à les investir. S'il paraît caricatural d’opposer médias classiques et réseaux sociaux, un examen précis revèle bel et bien ces pôles comme éloignés.

Dans son rapport de l’année 2020, la Reuters Institute for the Study of Journalism analyse la consommation de l’information numérique dans le monde. Les quelques chiffres avancés pour la Belgique font grise mine. En somme, les Belges continuent de consommer les informations par la télé, la radio et la presse papier, mais en plus petite quantité que sur les sites internet de ces médias. De plus, près de 41% des Belges s’informent via Facebook.

Autre point d’attention pour la presse : le crédit donné par la population aux informations des médias semble en chute libre : seulement 45% de confiance. Parallèlement, les Belges n’accordent que 18% de confiance aux informations trouvées sur les réseaux sociaux. Comment expliquer l’augmentation de la consommation d’informations sur ces plateformes si les gens n’y portent pas ou peu de crédit ? Cette augmentation significative entraine en tout cas de nombreuses dérives.

Fake news et ingérences

Si les fameuses fake news ont toujours existé, elles se sont amplifiées avec l’utilisation de masse d’Internet et des réseaux sociaux. Problème : les utilisateurs, contrairement aux professionnels de la presse, ne sont pas soumis à la déontologie journalistique et à ses règles de vérification des faits. Ce qui oblige les médias à se ré-inventer. Une multitude de rubriques et de plateformes voient le jour pour contrer les fake news, dans l'optique d'informer et de sensibiliser le public à la question. On peut citer, entre autres, la plateforme collaborative Hoaxbuster, le service de journalisme à la demande avec Check News de Libération, le moteur de recherche Décodex du journal Le Monde ou, plus récemment, « Coïncidence ? Oui. », un format vidéo créé par Konbini et Facebook. Mais si ces initiatives semblent essentielles, elles ne découlent souvent que des réactions à des dérives. Les techniques de dopage restent en avance sur les organes de détection.

Autre dérive notable : l’ingérence russe dans l’élection présidentielle de Donald Trump en 2016. Au terme d’une enquête interne, Facebook remet au Congrès américain le détail de publicités achetées par l’organisme russe IRA, Internet Research Agency, soutenu par le Kremlin. On parle alors de plus de 3.000 publicités achetées sur deux périodes en 2016 : lors des primaires aux États-Unis et lorsque Donald Trump est élu président. Fausses informations, création de comptes apocryphes, publicités ciblées pour polariser la population et créer des tensions, dénigrement de l’opposition... Tous les terrains sont investis. Au total, 126 millions d’Américains sont touchés par ces réclames. Soit près de 100.000 dollars dépensés par l’agence russe pour toucher des utilisateurs américains et les enfermer dans des boucles de fake news. Facebook n’est pas le seul réseau social concerné : Twitter s'avère également condamnable. En janvier 2018, cette plateforme remet un rapport au Sénat américain dans lequel il admet l'existence de tentatives russes pour influencer l’élection de 2016. Cette influence trouble, hors de tout contrôle, arbore des airs de propagande. Tandis que les médias demeurent quasiment impuissants à son égard.

CSA et financements politiques

Le CSA, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, veille au bon fonctionnement des médias de son secteur. Il contribue au déploiement d'une pluralité et d'une inclusivité au service d’une société démocratique. En période électorale, il serre la vis : les temps de parole, les invités ou les propos sont réglementés. Par contre, le CSA n’a aucun pouvoir de réglementation sur Internet. Il n’existe d’ailleurs sur le web aucune norme concernant les campagnes électorales. Cette situation pose plusieurs soucis, notamment en France, et plus précisément sur Youtube. Depuis quelques années maintenant, cette plateforme a accueilli différentes personnalités, à l'instar de Jean-Luc Mélanchon, député français et président du parti La France Insoumise. Mais aussi Florian Philippot, président du parti Les Patriotes, Marine Le Pen, à travers la chaîne Youtube de son parti, ou Nicolas Dupont-Aignan, député français et président de Debout la France. Sur leurs chaînes respectives, ces acteurs politiques peuvent s’exprimer avec un temps illimité. Aucun encadrement relatif au temps de parole, ce qui leur permet de contourner les règles du CSA en la matière.

En Belgique, Facebook est une nouvelle fois mis en cause. Au mois de mars 2021, la Belgique est le septième pays européen à y dépenser le plus d'argent pour des publicités politiques. Côté flamand, la N-VA et le Vlaams Belang incarnent les dilapideurs les plus fervents : respectivement 500.276€ et 335.921€ entre janvier et mars 2021. Sur la même période, côté wallon, le MR et le PTB résident en haut du classement en dépensant chacun 38.048€ et 41.977€. Déséquilibre et déformation flagrants de l’accès à l’information : qui met le plus d'agent sur la table sera le plus vu. Faudrait-il concevoir un équivalent du CSA sur internet ? Reste un constat évident : incombe aux médias et aux utilisateurs de repenser leur rapport aux réseaux sociaux... Et à l'information protéiforme qui y circule en masse.

Partager cet article