Bpost banque : la privatisation de trop ?


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Ariane Kandilaptis

En janvier 2021, nous apprenions que bpost banque avait été acheté par BNP Paribas Fortis. Le PS, Ecolo et le PTB ont réagi en s’opposant à cette décision. Mais pourquoi ? Quel est l’enjeu de cette vente ? Avis de trois experts : Axel Gautier (professeur d’économie à HEC Liège), Geoffrey Geuens (professeur à l’ULiège au département Médias, Culture et Communication) et Didier Van Caillie (professeur d’économie à HEC Liège).

Photos: Ariane Kandilaptis

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Il faut admettre qu'on pouvait s'y attendre. En décembre 2020, l’information commence à circuler : BNP Paribas Fortis serait en négociations avec Bpost pour racheter bpost banque. Mais, quand l’annonce s’officialise en janvier 2021, les esprits s’échauffent. Du côté du PS, du PTB et d’Ecolo, cette décision semble inacceptable. Pourtant Bpost affirme que rien ne va changer, aussi bien pour les clients que pour le personnel.

Qu’est-ce qui pose problème ?

Bpost a comme actionnaire majoritaire l’État, tandis que BNP Paribas Fortis est une structure totalement privée. « Ils [des partis, principalement de gauche] ont leur façon de voir les choses, qui est de dire que pour fournir un service public, on doit être une entreprise publique », tranche Axel Gautier. Voilà la cause du désaccord qui a poussé certains partis à réagir : la privatisation. Historiquement, bpost banque naît de l’association entre la Société Générale de banque (devenue actuellement BNP Paribas Fortis) et La Poste (Bpost). Elle s’appelle alors La Banque de la Poste. Les parts de l’entreprise avaient été séparées à 50-50. L’état belge, entrant alors en contrepartie dans l’actionnariat de BNP Paribas à hauteur de 10%, redescendu à 7,7% selon les chiffres du site BNP Paribas datant du 31 décembre 2020.

Qu'en pensent les experts ?

Pour Geoffrey Geuens, « c'est la première privatisation de ce gouvernement Vivaldi. On nous avait pourtant promis, à l’époque de la crise financière, qu'on mettrait au pas les banques. Et puis, on constate finalement que l'entreprise bpost, dont le premier actionnaire est quand même toujours l'État belge (51%), se défait de sa participation dans bpost banque ». Mais est-ce que le rachat par une entreprise privée d’une entreprise en partie publique pose vraiment problème ? Axel Gautier en doute : « Je pense qu’on peut être tout à fait capable d’avoir des obligations de service public sans que le prestataire soit une entreprise publique. Je crois que les services publics peuvent être régulés et encadrés, ce n’est pas très important que le prestataire soit privé ». Il faut alors des compensations, pour assurer que les services publics de ces entreprises continuent à fonctionner. « Dans un monde de contrats, on peut faire ça avec une entreprise privée. Dire “Vous avez des obligations de service public”: par exemple, servir tout le monde. ». Mais dans ce cas, il faudrait que l’état verse des compensations pour les clients qui ne sont pas rentables à l’entreprise, pour que celle-ci continue d’assurer les services publics. Pour BNP Paribas Fortis, « je dirais que, quelque part, en Belgique en tout cas, BNP Paribas, avec ce rachat, réalise un espèce de coup de maître, d’un point de vue tactique et stratégique. », pointe Didier Van Caillie.

Les réactions des partis sont-elles justifiées ?

Dans les organismes publics, il y a des représentants de l’état avec des mandats d’administrateurs. Dans l’entreprise bpost, qui a vendu bpost banque, on compte trois représentants de l’état au sein du conseil d’administration dont Anne Dumont (PS). Pour rappel, le gouvernent actuel Vivaldi se compose notamment du PS et de la sp.a ou encore des écologistes Ecolo et Groen. « Malheureusement malgré la présence de forces dites de gauche au gouvernement, on doit quand même faire ce constat d'une nouvelle privatisation. C'est une énième déclaration d'intention du Parti socialiste mais que l’on aimerait voir suivie d’actes concrets », déplore Geoffrey Geuens. Pour Axel Gautier, « L’expérience montre qu’il y a des services publics qui ont été privatisés avec des contrats et, à la fin, c’est la qualité du service qui en a pâti ». Les réactions des partis dits « de gauche », ne semblent donc pas exclusivement idéologiques. Les trois experts s’accordent sur ce point.rediDSC00449

Quelles répercussions pour les clients et les employés ?

La réponse à cette question reste en suspens. Mais on peut se baser sur les différents objectifs des entreprises privées et publiques. Malgré que, selon lui, une entreprise puisse être privée tout en ayant un service public régulé, Axel Gautier nuance : « C’est clair que, dans des entreprises privées, il y a souvent de la tension entre missions de service public à rendre, volonté de l’action et marge sur les produits. » C’est autour de ces questions que les débats fusent. Pour Geoffrey Geuens, c’est le profil des administrateurs des entreprises où l’Etat reste un important actionnaire qui pose problème : « Ils gèrent les “entreprises publiques” comme des entreprises privées avec globalement les mêmes critères, alors que l’on devrait clairement pouvoir distinguer les choses ». Le chercheur pointe également les répercussions de ce régime libéral de gouvernance sur les salariés : « Il y a souvent des pertes d'emplois, des synergies, des dégradations des conditions de travail, etc. ». Il faut aussi penser aux clients de cette banque, qui vont se voir changer de propriétaire. Comment caractériser ces derniers ? « Aujourd’hui, la clientèle principale de bpost banque sont des personnes âgées et/ou précarisées qui ont un profil opposé à celui recherché par BNP Paribas Fortis. », explique Didier Van Caillie. Il poursuit : « Il est clair que, d’un point de vue plus sociologique, ce rachat est inquiétant, d’autant plus que, finalement, cette clientèle n’a pas le choix, comme en France, de se retourner vers une banque postale ou l’un ou l’autre acteur public de proximité ».

L’obligation de services publics

Les entreprises publiques ont des obligations en tant que services publics. La question s’est posée concernant bpost banque également. A-t-elle par exemple l’obligation de ne refuser aucun client ? « Oui, elle a hérité de ces obligations de service public. Par transfert d’activité de la CGER, etc. Et de par son ancien statut d’entreprise publique de bpost. Donc, lors de la négociation, c’est peut être un des éléments de négociation à mettre sur la table, et sur lequel il faut être ferme lors de la conclusion finale du deal », détaille Didier Van Caillie. Cette privatisation pourrait alors, sur le long terme, mettre à mal cette obligation. Pour bpost, il existe également une obligation de service public nommée "obligation de service universel". Mais, comme mentionné plus haut, il faudra probablement compter dans la négociation sur une compensation au profit de BNP Paribas Fortis.  « C’est la banque de tous ceux qui n’ont pas de banque. Et ça, c’est peut être bien une obligation de service public pour laquelle il y a potentiellement une compensation.», avance Alex Gautier. L’enjeu de ces obligations de service public sera à négocier entre les deux parties.

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