L’indépendance journalistique, un éternel combat


Dans À l'unif On débat
Julien Haid

Dans le cadre de la journée mondiale de la liberté de presse du 3 mai dernier, l’émission « Libère ta plume » du Studiobus s’est intéressée à l’indépendance journalistique. Une denrée rare dans la presse belge. Tour d’horizon.

La presse belge est-elle libre, oui ou non ? En réalité, les deux. D'entrée de jeu, il convient de rappeler que les groupes de presse du royaume appartiennent à des familles très fortunées. De ce fait, il semble complexe pour ces médias d’écrire de manière totalement libre. En parallèle, il faut reconnaître qu'il existe, en Belgique et chez nos voisins, des médias indépendants qui parviennent, eux, à garantir leur indépendance.

Les groupes de presse

Rossel

Ce groupe, qui incarne l'un des plus connus du pays, appartient à la famille Hurbain, qui représente la 128e fortune belge, avec une richesse estimée à 169 millions d'€.

Au sein du Conseil d’administration, on retrouve notamment Bernard Marchant (qui a marié une fille de la famille Hurbain). Il a été administrateur du Gault&Millau Benelux (un guide culinaire) et conseiller d’ING Bruxelles. Arnaud Laviolette, administrateur indépendant, a pour sa part des liens avec le groupe D’Ieteren (géant de la distribution automobile en Belgique). Entre le monde bancaire, la sphère culinaire et celle de l’automobile, les intérêts et influences ne manquent pas. 

IPM

 Le groupe IPM, de son côté, appartient à la famille Le Hodey, classée à la 457e place des fortunes belges avec 36 millions €.

Au sein du conseil d’administration d’IPM, on retrouve Alain Siaens, ancien président et actuel actionnaire de la Banque Degroof Petercam, une banque de gestion de fortunes. Cette position permet à M. Siaens de fréquenter Jean-Baptiste Douville de Franssu, le banquier du Vatican. Un autre administrateur indépendant d’IPM : Pierre Rion, présent au sein du conseil d’administration de la Banque CPH (2011-), mais aussi de l’association des Vignerons de Wallonie (2015-). IPM est donc pour sa part plutôt symbolisé par des rapports avec le monde bancaire et le secteur vinicole. 

Le cas particulier du journal L’Echo

Le journal économique L’Echo appartient à 50% au groupe Rossel et à 50% au groupe Roularta. Ce groupe appartient aux familles De Nolf et Claeys. Il s'agit respectivement des 209e et 303e fortunes belges, avec une richesse estimée respectivement à 208 et 59 millions d’euros.

Dans le Conseil d'Administration de Roularta, on retrouve notamment Rick De Nolf, ancien administrateur de Telindus (une entreprise de Télécom). Ce mandat lui a permis d’être en relation avec Jean-Luc Dehaene (ex-premier ministre Belge) et avec Christian Leysen (député VLD et frère de Thomas Leysen, patron du groupe Corelio, qui édite des journaux flamands et Metro). 

Au vu de ces différents liens (directs ou indirects) entre les journaux belges et d’autres milieux (bancaires, économiques, politiques,…), l'indépendance de la presse du royaume reste questionnable. Le doute semble permis sur le niveau d’influence que peuvent avoir ces fréquentations sur la ligne éditoriale des journaux. Les lignes éditoriales des médias belges ne sont pas pour autant littéralement calquées sur les différents intérêts des membres des conseils d’administration et les journalistes peuvent toujours se « rebeller » en cas d’abus. L’exemple le plus récent est celui du journal L’Avenir, dont la rédaction avait créé une édition « pirate » (sans l’accord de la direction) pour dénoncer les pressions subies autour du dossier Nethys, alors propriétaire du journal.

Les médias (semi-)indépendants

Rassurons-nous : les médias libres existent. Certains n’appartiennent à aucun groupe industriel, financier, ni à aucun mouvement politique, syndical ou religieux. Ces irréductibles, détenus par leurs salarié.e.s, leurs lecteurs.trices ou encore une association, revendiquent leur indépendance totale.

Dans l’Hexagone, plusieurs journaux apparaissent comme indépendants ou semi-indépendants, notamment le journal Libération. En réalité, Libé appartient au groupe SFR Presse, mais il demeure semi-indépendant car, à l’intérieur du journal, il existe une société des rédacteurs (une association des journalistes constituée au sein de la rédaction), qui a pour mission de veiller à l’indépendance journalistique et au respect de la charte de déontologie professionnelle. Autre moyen de préserver l’autonomie du journal : la société des lecteurs, qui peut poser des questions auxquelles la rédaction répond sans filtre.

Autre exemple : investigations, enquêtes et révélations font de Mediapart une référence en matière d'indépendance. Au sein du pure-player, cette irréprochabilité est également garantie par l’abonnement payant et un fonds de dotation à but non-lucratif. À ce titre, son slogan semble éloquent :
« Seuls nos lecteurs peuvent nous acheter » ! 

En Belgique

Chez nous, l’indépendance journalistique demeure une denrée rare. Côté francophone, on retrouve principalement deux journaux qui prônent cette liberté. C’est notamment le cas du magazine Médor. Il fonctionne en coopérative et résulte de la combinaison d'un regroupement de personnes et d'une entreprise fondée sur la participation économique des membres, en capital et en opérations. Wilfried, un magazine trimestriel spécialisé en politique, fonctionne lui aussi en coopérative. Il a même été lancé grâce à une opération de financement participatif (crowdfunding).

Au travers de ces différents exemples, on peut relever que l’indépendance de la presse ne se décrète pas, elle se construit. Il s'agit d'une lutte de chaque instant qui implique journalistes et lecteurs. Néanmoins, même si les médias tendent vers une forme de liberté, elle reste difficile à atteindre : les intérêts des uns et des autres s’entrechoquent inexorablement à un moment donné. De quoi donner des sueurs froides à la profession et rendre le métier très compliqué. Comme le disait Pierre Bourgault, un chercheur Québécois : « L’indépendance, ce n’est pas une récompense, c’est une responsabilité ».

Note : Les sources de cet article proviennent principalement des travaux de Geoffrey Geuens, chercheur en socio-économie des médias à l'Université de Liège.

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