Igor Gabriel, « le type qui fait des films pour pas cher »


Dans Culture
Luna Daine

Photo : Fresques de l'hôtel "Ibis Styles", © Abacapress/Laurent Mayeux, 2019

Vingt-cinq ans de carrière et une cinquantaine de films à son actif : Igor Gabriel, n’est autre que le chef décorateur liégeois que tout le monde s’arrache. Entretien.

Illustrateur au départ, Igor Gabriel débarque dans le milieu du cinéma selon un scénario imprévisible. Déniché par les frères Dardenne, cette âme d’artiste passionnée et investie jongle de film en film, oscillant entre plateaux belges et italiens. Derrière cet homme décomplexé, se dissimule un acharné du boulot que rien n’arrête, même pas une pandémie.

Fresques copie

Studiobus : Comment s’est déroulée votre arrivée dans le monde du cinéma ?

Igor Gabriel : Les frères Dardenne sont venus me chercher en 1995. Nous nous connaissions depuis le collège Saint-Martin. Déjà à cette époque, j’adorais bricoler des choses. Ils sortaient d’un film « Je pense à vous » qui n’avait pas bien marché. Ils souhaitaient changer de cap au niveau de la production en se dirigeant vers quelque chose de plus local. J’étais totalement novice en matière de cinéma, mais je me suis lancé. Résultat, le premier film sur lequel j’ai bossé, c’est « La promesse »[1].

Quelle impression ressentez-vous en travaillant au côtés des frères Dardenne, deux icônes du cinéma belge ?

Je ne les perçois pas comme tel car je les connais depuis longtemps. Mais c’est vrai que quand j’évoque mon travail avec eux, beaucoup sont impressionnés. Ce sont des références dans un genre cinématographique social et militant qu’ils ont indéniablement marqué. D’un point de vue strictement personnel, je me sens cinématographiquement plus proche des frères Coen que des Dardenne. Néanmoins, je travaille pour eux tous les trois ans, soit environ le temps qu’il leur faut pour écrire et monter un projet. Entre-temps, je bosse sur d’autres productions tout en me perfectionnant en soudure, menuiserie, etc.

Qu’en est-il de vos autres passions ? Car n’oublions pas que vous êtes un illustrateur de formation…

Ici, je viens de terminer des fresques pour le nouvel hôtel « Ibis Styles » de Liège en face des Guillemins. C’est un lieu dédié à la BD. Je me suis chargé des illustrations qui couvrent les murs du rez-de-chaussée. Cependant, il est vrai que mon métier empiète sur ma passion qu’est le dessin humoristique de fantaisie. En tant que chef décorateur, je suis amené à dessiner, mais cela reste très schématique.

De nombreux films sur lesquels vous avez travaillé ont été récompensés. Vous-même avez été nominé lors des Magritte 2015, pour le meilleur décor dans le film « Deux jours, une nuit »[2]. Considérez-vous ces récompenses comme une consécration dans votre parcours professionnel.

Pas du tout ! Ce sont des anecdotes. J’ai été invité à Cannes plusieurs fois par les frères, mais cela ne m’intéresse pas. Ce genre d’évènements doit exister, mais pas sous la forme actuelle. Cela devrait simplement être un lieu pour exposer ce que fait la Belgique en termes de cinéma et non pas une compétition. De plus, recevoir une récompense pour mon travail de décorateur dans un film des frères est surfait dans le sens où je suis plus dans l’ajustement technique que dans la construction telle quelle. J’ai par exemple travaillé dans un film « A good Favor » d’Alicia Duphy lors duquel nous avons construit un village Amish dans son intégralité au beau milieu des Ardennes. Dans ce sens, obtenir une récompense me correspondrait plus. Cependant, je considère cela inadéquat de placer sous les projecteurs un seul homme alors qu’une équipe entière trime à ses côtés.

Beaucoup de films dont vous signez les décors sont tournés dans la province de Liège. Pour une question de facilité ?

Pour les productions, c’est un réel avantage car ils ont tout sous la main. A Liège, on tourne autour de 1,2 million jusqu’à 3-4 millions d’euros pour un film. D’ailleurs, on m’a catalogué comme le type qui fait des films pour pas cher. Je connais beaucoup de monde, mon atelier est dans la région et je fais de la récup’. De plus, Liège offre des beaux paysages et plusieurs types d’architecture. C’est une zone géographique qui permet de faire des économies.

Visionnez-vous les films auxquels vous avez participé ?

J’essaie de laisser du temps entre la réalisation du film et le visionnage de ce dernier. J’ai besoin de me dégager du travail produit pour le regarder de façon sereine. Cependant quelques fois, j’attends tellement que je finis par oublier.

Votre immersion dans le cinéma ne vous a-t-elle jamais donné l’envie d’en réaliser un par vos propres moyens ?

Déjà bien avant de travailler dans la décoration, j’avais des casiers remplis d’histoires à raconter. Malheureusement pour en faire un film, le processus est long et il faut un peu de sous. Et puis, je ne suis plus tout jeune…

[1] « La promesse », film récompensé symboliquement au festival de Cannes en 1996. Les Dardenne sortiront trois ans après le film « Rosetta » obtenant quant à lui une palme d’or à Cannes en 1999.

[2]En 2014, le film « Deux jours, une nuit » remporte un prix spécial du jury au festival de Cannes.

Pour les plus curieux, voici un récapitulatif de quelques films primés des frères Dardenne, auxquels Igor Gabriel a participé, dans leur ombre :

La Promesse – 1996 – Avec Olivier Gourmet et Jérémie Renier – Prix du meilleur acteur au festival international du film francophone de Namur – Prix André-Cavens pour le meilleur film belge.

Rosetta – 1999 – Avec Emilie Dequenne – Palme d’or au festival de Cannes – Prix d’interprétation féminine au festival de Cannes pour Emilie Dequenne.

Le fils – 2002 – Avec Olivier Gourmet - Prix de l’interprétation masculine au festival de Cannes pour Olivier Gourmet – Prix André-Cavens de l’UCC pour le meilleur film belge.

Le gamin au vélo – 2011 – Jérémie Renier – Thomas Doret – Cécile de France – Grand prix au Festival de Cannes.

Deux jours une nuit – 2014 – Marion Cotillard – Fabriozio Rongione – Prix André-Cavens de l’UCC pour le meilleur film belge – Prix spécial du jury œcuménique pour les frères Dardenne – De nombreux prix américain remis à Marion Cotillard pour la meilleure actrice – Magritte du cinéma 2015 pour meilleur film – Prix du meilleur réalisateur au Magritte pour Jean-Luc Dardenne – Prix du meilleur acteur au Magritte pour Fabrizio Rongione.

Le jeune Ahmed – 2019 - Prix de la meilleure mise en scène au Festival de Cannes   – Prix du meilleur espoir masculin au Magritte 2020 pour Idir Ben Addi – Prix de la meilleure actrice dans un second rôle pour Myriem Akheddiou.

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