Chronique d’un retour dans sa tribu


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Kiran Sinimalé

Kot ou maison familiale ? Chaque étudiant a dû effectuer le choix stratégique de son lieu de confinement. Entre solitude ou manque d’espace, mon cœur a tranché. Pour le meilleur et surtout pour le pire ? Chronique d’un retour dans sa tribu.

« Si je ne donne plus de nouvelles, c’est qu’on s’est entretué ». Dernier message envoyé avant de rentrer dans mon village perdu. J’aurais pu décider de rester au kot avec ma très discrète colocataire et son chat moins réservé. Mais j’ai préféré me mettre au vert et retourner à la vie de famille. Et pas n’importe laquelle : la mienne ! Six à la maison, chien, chat et cheval non-compris. Quand on a quitté le cocon familial depuis sept ans, s'y replonger peut relever de la survie. Mike Horn n’a qu’à bien se tenir.

Retour aux bonnes vieilles habitudes

« Prends pas toute l’eau chaude ! ». C’est fou comme des actions banales deviennent un luxe. Pouvoir accéder à la douche à sa guise en fait partie. Outre l’attente devant la porte de la salle de bain et les disputes pour « Qui a mangé le dernier cookie ?! », il a fallu réadapter ma résistance au bruit. Si on actionne un briefing au téléphone, la radio en fond, mon beau-père qui propose du café, mon frère qui chante, l’autre qui récite ses irréguliers, ma sœur qui râle parce que son podcast ne fonctionne pas et le chat qui demande pour sortir, on obtient le niveau sonore moyen du bureau dans lequel nous travaillons. Mon casque réducteur de bruit se révèle l’outil indispensable de ma vie de confinée. Manque de bol pour les autres : nous ne sommes que deux heureux détenteurs de ces petits bijoux de technologie. Par bonheur, le jardin nous permet, à ma sœur et moi, d’étudier dehors et d’échapper au vacarme.

Internet – Bataille de tous les instants

La partie se joue à six : trois télétravailleurs, deux étudiantes et un élève de 4e secondaire. Le prix ? L’accès à un Internet ultra-bas-débit. Le petit dernier se trouve directement hors-jeu. Il se croit de toute façon en vacances depuis le début. Et ses seuls besoins de connexion se limitent à des jeux non-essentiels à sa survie. Reste cinq jouteurs. Les télétravailleurs restent prioritaires en journée. Mais, la plupart du temps, on parvient à rester tous connectés, moyennant quelques pauses « mode avion ».

oeufs

Cependant, en soirée, le débit que l’on pensait calé au plus bas ralentit encore. Se livre alors un combat sans merci entre les quatre enfants. Affrontement souvent remporté par l’aîné avec l’argument fatidique « parce que je suis le plus grand » – que celui qui a vécu dans une fratrie sans entendre cette phrase lève illico la main. Il faut alors retrouver ses anciens talents de négociation : « Si tu coupes ton wifi pendant le JT, je débarrasse le lave-vaisselle ». Les tâches ménagères, valeur sûre de marchandage...

La compétition continue avec les chaises du bureau. Au nombre de trois, le challenge consiste à réussir soit à se lever tôt pour réserver l’une d’entre elles, soit à voler celle d’un autre, pendant qu’il grignote à la cuisine. Tous les coups sont permis.

Partage de frères

« Allez, debout ! Les cloches sont passées ». Nous déambulons dans le jardin, à la recherche des précieux chocolats disséminés entre la rhubarbe et les petits pois. À côté, nous croisons notre voisin de cinq ans et sa petite sœur, eux aussi affairés à la chasse aux œufs. La seule différence : nous avons respectivement 27, 25, 19 et 15 ans et nous insistons pour que notre mère continue à jouer les lapins de Pâques. « Merciiii les cloches ! »

Vient ensuite le partage équitable. N’importe qui ayant grandi avec des frères et sœurs connaît les règles : Tout sera divisé de manière égale afin d’éviter les incidents diplomatiques. Si, par malheur, l’un d’entre nous se retrouvait avec un œuf Oréo (les meilleurs) de moins, l'opération pourrait virer au drame.

Solitude où es-tu ?

À six à la maison, les moments de quiétude semblent rares et précieux. Entre bureau commun, repas partagés et tambourinages à la porte de la salle de bain, on ne risque pas de se sentir seul. Chacun a cependant réussi à trouver son rythme et un moyen de s’évader. Ma mère marche ses 10 km quotidiens, mon beau-père continue de travailler avec une dérogation, ma sœur sort son cheval, mes frères lisent. Et je quitte tout le monde après le souper pour profiter d’une pièce où les décibels atteignent un niveau acceptable.

Si l’espace et le silence manquent parfois, il faut bien avouer que, pour bien des aspects, se retrouver à plusieurs, particulièrement en cette période, se révèle plutôt réconfortant. Cette singulière évidence permet également de s’occuper plus facilement. Privée de mes entraînements trois fois par semaine, j’ai enrôlé ma sœur dans ma pratique quotidienne. Tous les soirs, on se retrouve toutes les deux pour une heure de sport afin de transpirer, mais aussi évacuer énervements et autres stress. On ne compte plus les apéros partagés, les desserts réalisés à plusieurs mains (entendez : un qui cuisine, les autres qui mangent la pâte) et les parties de jeux de société.

A l’heure où j’écris ces lignes, nous sommes le 30 avril . Tout le monde reste encore vivant. Mon confinement s’est beaucoup mieux déroulé que je ne le craignais. J’ai replongé dans mon adolescence. En constatant que, même adulte, on se chamaille de la même façon. Et si ma seule préoccupation demeure ma connexion internet, c’est que je ne suis pas à plaindre...

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