Mère d'une ado-maman : mode d'emploi


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Miléna De Paoli

Mère et fille

Après plus de 40 jours de confinement, le quotidien des Belges a radicalement changé. Ennui pour certains, travail pour d’autres, chacun vit son confinement comme il peut. De mon côté, un autre phénomène est apparu : l’inversion du rôle parent-enfant.

Plaçons le contexte : je suis étudiante et vis en confinement avec ma maman, qui fait du télé-travail. À 22 ans, je ne suis plus une enfant et il est normal de prendre part aux diverses tâches dans la maison. Avec les mesures de confinement, mon rôle allait logiquement se corser. Mais, ce à quoi je n’avais pas pensé, c’est que je deviendrai en quelque sorte la maman de la maison.

À la fois infirmière indépendante en oncologie et conseillère de la cellule santé de la ministre de la Région wallonne, ma maman enchaîne les réunions en visioconférence et les appels téléphoniques, cumulant parfois les deux à la fois. La journée commence vers 7h par une première réunion, caméra coupée, forcément. Entre la préparation dans la salle de bain, la réunion quotidienne et la vérification du planning de soins à domicile, elle ne sait plus où donner de la tête. Quand à mon tour, je me dirige vers la salle de bain, la situation n’a pas évolué. Elle a peut-être fait plusieurs tours de la pièce, l’eau qui a coulé est froide, non-utilisée, et la réalité est là : elle n’est toujours pas prête. Telle une bonne mère de substitution, je la houspille : elle va encore être en retard pour un énième rendez-vous virtuel.

La journée suit tranquillement son cours. Deux salles, deux ambiances : de mon côté, je travaille en silence, protégée par des bouchons d’oreille qui m’assurent une certaine tranquillité. C’est que ça fait du bruit, une enfant dissipée. De l’autre côté du salon, elle passe sa journée dans un bruit constant à parler au téléphone, résoudre des problèmes ou trouver du matériel pour protéger les soignants. Entre deux tâches, je lui rappelle de s’hydrater et j’écoute les conversations. Il faut dire que c’est déroutant d’entendre quelqu’un rire de fatigue. Je pourrais presque devenir médecin à force d’entendre tout ce jargon médical. J’ai bien dit « presque » !

Le soir venu, il est temps de se mettre à cuisiner. Je retrousse mes manches : depuis le 18 mars, je suis un vrai petit chef. Je suis devenue le cuistot du gîte. C’est surtout que, si je ne cuisine pas, je sais qu’elle ne mangera pas ou très peu, substituant un vrai repas par une tartine ou un yaourt. Les enfants et la rigueur alimentaire, ça fait deux. Une fois le repas servi, j’enfile le costume cliché de la mère qui appelle ses enfants à venir à table : « Mamaaaan ça va être froid ! ». Et comme les ados ne peuvent pas lâcher leur portable, au moindre moment d’inattention, je deviens John Dillinger et lui subtilise son téléphone pour l’obliger à manger sans être dérangée. Et le pire c’est qu’elle me fait sa moue boudeuse. Une vraie petite ado.

Minuit sonne. Elle pique du nez, signe évident de sa fatigue. Mais c’est une enfant bornée, elle ne veut pas s’arrêter. Je dois la sommer de filer au lit. Il paraît même que j’ai appris à faire les gros yeux.

Si mon récit peut ressembler à des lamentations, il n’en est rien : en réalité, je m’amuse de cette situation. Notre duo a toujours été considéré comme trop raisonnable et sage d’un côté et trop volubile et exubérant de l’autre. Le confinement ne peint que le portrait accentué de ce que nous sommes. D’habitude, elle s’occupe de tout quand je suis en bloque. Cette fois, c’est moi qui l’écoute raconter son atelier collage-bricolage du jour : faire des blouses pour les soignants avec des toiles de parachute ou de parasol, « en temps de crise, il faut être créatif ». Demain matin, j’entamerai mon chocolat chaud en espérant qu’il ait les mêmes vertus qu’un café. Ma première mission sera de ranger la cuisine pour recommencer une nouvelle journée. Elle sait qu’elle peut compter sur moi.

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