Tempête dans une éprouvette


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Jeremy Joris

À l’approche du déconfinement, les tests de dépistage vont occuper une place importante afin d’éviter une deuxième vague. Or, jusqu’à récemment, les laboratoires eux-mêmes ignoraient s’ils pouvaient réaliser ces tests, quand et comment. Ces derniers ne symbolisent pas seulement la lutte contre le coronavirus. Ils trahissent d'autres intérêts parallèles. Médecin dans un laboratoire wallon, Yvette revient  sur cette saga aux multiples épisodes.

Studiobus : Où en est-on concernant les tests de dépistage ?

Yvette : Début avril, nous avions déjà de quoi faire les tests et une première série a été lancée. Mais, le 3 avril, nous avons reçu un courrier assez ambigu de Sciensano (Institut national de recherche et de santé publique). Ils nous ont annoncé que l'AFMPS communiquerait plus tard les tests ELISA validés, recommandés pour les laboratoires belges, et que la mise en place des tests sérologiques (visant à détecter les anti-corps et une possible immunité) se ferait dans un cadre strict. Nous avons deviné que nous devions interrompre le dépistage en cours car nous ne pourrions vraisemblablement pas facturer les analyses ni à l'INAMI, ni aux patients. Nous nous serions retrouvés à faire ces tests gratuitement, ce qui n'est pas le but d'un laboratoire privé, d'autant plus qu'ils s'avèrent assez coûteux. L'INAMI nous a ensuite contactés pour nous dire d'attendre les directives de Sciensano, qui semblait déjà dans l'incertitude, pour pouvoir tarifier les tests. On a donc été contraints de stopper le dépistage.  

Aujourd'hui, la situation s'est-elle débloquée ?

Le 23 avril, Sciensano nous a envoyé une lettre qui, d'ailleurs, n'est pas reprise sur leur site comme habituellement, ce qui semble étrange. Cette lettre nous dit qu'on peut faire les tests, mais à condition d'utiliser les kits de firmes qu'ils ont agréés. Ils ajoutent que, dès à présent, les commandes et livraisons de kits ne seront plus bloquées car, pour l'anecdote, il faut rappeler qu'ils étaient précédemment réquisitionnés pour l'UZ Leuven.

Et maintenant, les remboursements seront effectués ?

Nous pouvons facturer les tests à l'INAMI, qui remboursera à l'avenir. Le remboursement intégral n'est pas encore prévu : l'opération concerne les tests du personnel soignant au sens large, les personnes habitant en collectivité comme celles résidant en maison de repos et, bien sûr, les personnes symptomatiques, avec, à présent, une reconnaissance élargie des symptômes au-delà des troubles respiratoires (digestifs, dermatologiques, articulaires...).

Avez-vous eu le sentiment que les laboratoires privés ont été mis de côté dans la lutte contre le coronavirus ?

Oui, vraiment. Même au départ, il n'y avait qu'un hôpital habilité à effectuer les tests PCR (visant à détecter une infection active), l'UZ Leuven, et ils ont rapidement été dépassés. Or, la plupart des laboratoires sont compétents pour effectuer des tests PCR. C'était une technique de pointe il y a une vingtaine d'années. Prochainement, nous pourrons peut-être aussi nous montrer autorisés à faire ces tests, dans le cas d'une réelle volonté de tester massivement la population. Nous restons dans l'attente.

Comment expliquez-vous cette mise à l'écart ?

...Maggie De Block n'aime pas les laboratoires privés, a fortiori wallons ! Bon, on ne va peut-être pas dire les choses comme ça!? Dès le départ, elle a voulu faire faire les analyses, notamment PCR, par des firmes pharmaceutiques flamandes, ce qui nous a vraiment choqués, ainsi que nos syndicats et la majorité des médecins-biologistes. Pour exercer, nous répondons à des multitudes de normes, nous sommes régulièrement contrôlés et nous avons toutes les accréditations nécessaires. Dès lors, nous étions vraiment consternés car nous avons les compétences. Sans parler du fait qu'elle ait cherché à privilégier les firmes flamandes dans les circonstances actuelles.

Pourtant, le ministre en charge du matériel médical, Philippe De Backer, s'est exprimé dans la presse en soulignant que vous n'étiez pas nécessairement  capables d'effectuer les analyses ?

Je préfère en rire. Le premier laboratoire privé a avoir été habilité à faire les tests PCR était un laboratoire flamand, l'Algemeen Medisch Laboratorium, dont le patron entretiendrait des liens d'amitié avec M. De Backer. Enfin, c'est du moins ce qui se dit dans le métier. Peut-être que cela a joué, peut-être pas. Entre les intérêts financiers et la volonté de faire passer la Flandre en premier, il y a de quoi se poser des questions.

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