Vu du Brésil : Journal de bord d'une étudiante


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Roxane Téjérina

Au Brésil, pays d'Amérique du Sud le plus sévèrement touché par l'épidémie, le COVID-19 a déjà fait plus de 3500 morts. Ce chiffre est peut-être encore bien en dessous de la réalité : selon des estimations réalisées par un groupe de chercheurs universitaires, le nombre de personnes infectées pourrait être douze à quinze fois supérieur au nombre affiché par un État dépassé par la situation. Quant au nombre de morts, il pourrait, dans le pire des cas, avoir franchi le seuil des 15 000 décès. Une situation préoccupante alors que le ministre de la Justice et de la Sécurité publique Sergio Moro a annoncé sa démission ce vendredi, huit jours après que le ministre de la Santé Luiz Henrique Mandetta, qui prônait la distanciation sociale et le confinement, ait été limogé. Le président d'extrême droite Jair Bolsonaro, lui, continue de minimiser le virus et milite pour la réouverture des écoles et des commerces. Tout ça alors que le pic de l'épidémie au Brésil pourrait ne survenir qu'au mois de juin.

 

brésil 

Gabriele Pinto a 21 ans. Elle est étudiante en Architecture et Urbanisme à l'Université Fédérale de Rio de Janeiro. La jeune femme respecte un confinement sévère depuis le 16 mars. A travers le pays, les mesures de confinement sont généralement moins respectées qu'en Europe. Elle ne sort que pour faire ses courses. Pendant cinq jours, Gabriele a tenu le carnet de bord de son confinement. Récit.

Lundi 20 avril

En ce moment, au Brésil, il y a deux catégories de personnes. Ceux qui ont conscience du risque que représente le virus, et ceux qui l’ignorent totalement. Ces derniers sont envahis de centaines de fake news chaque jour. Et ils croient ce qu’ils lisent. Principalement parce que notre “non-président” minimise la crise. Au milieu de ce chaos, il y a aussi ceux qui essaient de rester calme et de ne pas craquer. Je fais partie de ceux là.

Je vis très mal le confinement. Je suis quelqu’un qui aime sortir. Les premiers jours, j’étudiais, je lisais, mais j’ai progressivement perdu le rythme. Après quelques jours, j’ai commencé à me lever après 12h, j’ai arrêté de me doucher chaque jour, et je n’avais plus envie de parler à mes amis et à ma famille. Plus d’un mois après le début du confinement, je me sens enfin un peu mieux. Aujourd’hui j’ai fait quelques exercices, j’ai lu la constitution du Brésil, j’ai parlé à plein de monde, j’ai continué à préparer mon futur voyage en Europe et j’ai regardé la télé. Ça a été une bonne journée!

Mardi 21 avril

Les masques qu’on avait commandés sont enfin arrivés. On a payé 20 reals (3,30€) les trois. Mais tous les Brésiliens ne peuvent pas se le permettre. Comme le savon ou le gel hydroalcoolique! Je n’arrive pas à m’imaginer dans cette situation... C’est frustrant. Notre pays sombre.

Depuis ma fenêtre, certains jours, je vois les voisins se rassembler comme si de rien n’était et comme notre “non-président” le dit, comme si c’était juste un rhume. J’entends les gens parler. Ils disent toutes sortes de choses qui n’ont aucun sens : “Ils sur-réagissent, le virus a été crée par les Chinois, ça tue seulement ceux qui sont déjà malades, le Brésil ne peut pas s’arrêter, il faut qu’on retourne au travail!” Qu’est-ce-qui va pas chez eux ?

Quand je quitte l’appartement pour aller faire des courses, je désespère parce qu’il y a tellement de gens dans les rues ! La plupart sans masques et sans respecter la distance de sécurité.

Mercredi 22 avril

Je me suis réveillée à 13h, j’ai mangé un bol de céréales, j’ai eu ma mère. Et puis la mauvaise nouvelle est tombée : mon cousin, qui avait été testé positif au COVID-19 a dû être hospitalisé. Il n'a que 30 ans mais il pouvait à peine parler. Même si on a conscience du danger, quand quelqu’un de proche est touché, c’est terrifiant. Cette journée a été pire que les autres, j’ai rien fait. J’ai juste nettoyé la cuisine. Je n’ai pas pris de douche. 

Comme si la peur et l’inquiétude ne suffisaient pas, je commence à souffrir de l’éloignement. Je suis une personne chaleureuse. Ça me manque de voir du monde. Mes amis mes manquent. Ma vie me manque. Rien ne sera plus comme avant. Je suis fatiguée.

Jeudi 23 avril

Je me suis réveillée avec quelques nouvelles. Mon cousin attend d’être transféré dans un hôpital de campagne. Ma tante a entendu que de nouveaux respirateurs devraient être livrés de Chine le 27 avril. Alors, pour l’instant, il partage son respirateur avec quelqu’un. Tout ce que je peux faire, c’est espérer que ça ira mieux pour lui. 

Chez moi, rien de nouveau. Seulement ma cousine, qui a explosé de rage parce qu’elle n'arrivait pas à faire marcher la télé. Elle en a pleuré au téléphone avec son copain. Nos nerfs sont vraiment à bout ! 

Aujourd’hui, c’est l’anniversaire d’une de mes meilleures amies, une bonne opportunité pour mes amies et moi de nous réunir - virtuellement évidemment! Certaines le vivent très bien, d’autres pas. Sur six personnes, je suis la seule à avoir quelqu’un de notre famille affecté. C’est peut-être un manque de chance, qui sait ? Les voir me rend au moins heureuse ! Je me suis préparée, d'ailleurs. Je me suis maquillée, bien habillée, j’ai même mis du parfum. Il y avait du vin et des chips. Ca fait tellement de temps que je ne les ai pas vu... Y penser me rend triste à nouveau.

Vendredi 24 avril

J’avais prévu de me lever tôt, mais j’ai à nouveau échoué. Une amie m’a réveillé avec l’annonce de la démission de notre ministre de la Justice. Il a rejeté la demande de Bolsonaro d’interférer avec la police fédérale, Bolsonaro ayant pour but de se protéger contre une enquête.

Le Brésil souffre. Chaque jour est plus terrible que le précédent, et on ne sait pas où trouver de l’espoir. Après le petit déj, j’ai regardé l’allocution de Sergio Moro. Notre gouvernement est en ruine. Je sais que ce n’était pas un héros, mais en ce moment il mérite d’être applaudi. On a regardé et commenté son allocution comme s'il pouvait nous entendre.

Bolsonaro a répondu plus tard avec une allocution, qu’on a attendue, tout en sachant que tout ce qu’il pourrait dire ne ferait qu’aggraver la situation. Et c’est ce qui s’est passé ! Mais on ne l’a pas écouté avec attention. Avec nos casseroles, on a tapé à la fenêtre. Ça s’appelle le “panelaço” (NDLR : concert de casseroles), et ça se passe partout dans le pays à chaque fois qu’il fait une allocution.

La journée d’aujourd’hui a été politique. Une journée de colère et de tristesse. Je ne sais pas si le pays peut supporter toutes ces crises en même temps. J’aimerais juste que tout soit fini.

 

La playlist confinement de Gabriele

Une chanson : Como nossos pais de Elis Regina

Un film : Atomic Blonde

Un livre : la Constitution brésilienne de 1988

Une tenue : un pyjama

Un endroit : chez mes parents, à la campagne

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