Aurélien Barrau: «La presse est suiviste et ne se met pas en danger»


Dans Dans l'actu À l'unif
Emma Puma

Début avril, Aurélien Barrau, astrophysicien, philosophe et écrivain, s’est vu remettre les insignes de Docteur honoris causa de l’Université de Liège. L’occasion pour «l’éveilleur de conscience pour la sauvegarde de notre planète» d’échanger avec les étudiants du Master en Journalisme sur son rapport aux médias et le rôle des journalistes dans un contexte de crise écologique grandissante. 

En 2018, Aurélien Barrau signe une tribune dans Le Monde appelant les politiques à prendre leurs responsabilités face «au plus grand défi de l’histoire de l’humanité». En 2019, il est l’invité de l’émission Quotidien, présentée par Yann Barthès et se retrouve quelques mois plus tard sur le plateau du 28 minutes d’Arte. Une médiatisation à laquelle l’auteur de L’hypothèse K va pourtant vite mettre un frein. 

Ne pas nourrir le système

L’astrophysicien l’a appris à ses dépens: «Une des caractéristiques du système capitaliste est qu’il se nourrit de tout ce qu’on lui donne. Quoi qu’on fasse, on sert le systèmeAurélien Barrau prend rapidement conscience qu’il est une diversion qui maintient le système en place. Ce constat le pousse à décliner la quasi-totalité des invitations des médias. Il refuse d’assumer le rôle d'exutoire pour un système qu’il exècre. «On vit dans un monde dans lequel affirmer en direct que la meilleure action que puisse entreprendre Quotidien pour l’écologie, c’est de disparaître, provoque un pic d’audience.» Pic d’audience pour lequel le producteur ne manquera pas de le remercier.

Aurélien Barrau

© Université de Liège

Suffisant, ce n’est pas assez

Ce retrait médiatique n’est-il pas synonyme d’abandon? Ne faudrait-il pas au contraire monopoliser l’espace médiatique pour faire passer son message? Pas pour Aurélien Barrau, qui estime au contraire qu’il faut faire les choses dans la mesure et refuser de participer à une logique de maximisation. «La seule chose sur laquelle on a prise, c’est sur ce qu’on ne fait pas.» C’est dans cette logique que le philosophe choisit les médias auxquels il accorde une entrevue : «J’ai préféré passer dans des petits médias comme National Geographic ou France Inter par exemple, plutôt que sur des grosses chaînes comme TF1.»

Lire la presse a-t-il encore un sens?

«Quelle alternative avons-nous aux médias mainstream? Les réseaux sociaux?  Certainement pas!», décoche Aurélien Barrau. Car si les reproches adressés aux médias dominants pleuvent, les réseaux sociaux et leurs biais de confirmation ne constitueront pas notre planche de salut. «Une des propriétés de la presse, c’est qu’elle propose encore une réalité commune à laquelle se rattacher», souligne Aurélien Barrau. 

Mais la presse charrie aussi avec elle le mirage de la neutralité et une pensée dominante à laquelle il est presque impossible de déroger. «La presse est suiviste. Elle ne traite et ne défend que ce qui a déjà été digéré par le système. Or, ce qui importe aujourd’hui, c’est de se mouiller, se mettre en danger.» 

Aurélien Barrau

© Université de Liège

Rester un «voyou»

L’astrophysicien veut pouvoir rester un «voyou», un agitateur de l’espace public. Il faut selon lui réprimer «le fantasme de pureté propre à beaucoup de militants». Il est nécessaire de déranger tout en restant audible s’il on ne veut pas desservir sa cause. Mais pas question pour autant de faire l’éloge du compromis, car cela ne remet pas en cause le système. 

Pour Aurélien Barrau, il est urgent de «travailler sur le désir»: il ne faut pas interdire aux gens de prendre l’avion, il faut faire en sorte que prendre l’avion ne soit plus désirable. Là, seulement, le changement peut être durable. 

Faire quelque chose

La récente Charte pour un journalisme à la hauteur de l'urgence écologique représente-t-elle une piste de solution valable pour un meilleur traitement médiatique des questions climatiques? «Les chartes sont souvent des cache-misère. Mais, au moins, on fait quelque chose. Chacun doit utiliser les moyens, petits ou grands, avec lesquels il est à l’aise.» 

Et plus encore qu’agir, Aurélien Barrau insiste surtout sur l’importance de se demander «pourquoi nous agissons ainsi?» Pour les journalistes, cela signifie entamer une réflexion sur la manière de traiter les faits, de les contextualiser. «Le pouvoir des journalistes réside dans le recadrage des débats.»


Les Belges, les médias et l'écologie

Dans son sixième rapport, le GIEC insiste sur le rôle crucial des médias pour «cadrer et transmettre les informations sur le changement climatique». Comment définir le journalisme écologique? Des initiatives sont-elles mises en place dans les médias francophones? Quel est le rapport des Belges face aux infos sur le dérèglement climatique? Éléments de réponse en infographies.

 

Journalisme écologique définition1

Créée en 2022, la “charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique” invite les journalistes à traiter l’information en y intégrant pleinement le changement climatique. Pédagogie, choix du lexique, enquête, indépendance… les treize points de la charte guident les signataires dans leur rôle d’informateur sur la crise en cours. 

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De plus en plus de médias investissent le terrain du journalisme écologique. Rubriques exclusivement réservées au sujet, émissions de vulgarisation scientifique ou podcasts sur le développement durable, les initiatives se multiplient. Que peut-on lire, voir et entendre sur l’écologie en Belgique ? Tour d’horizon du paysage médiatique francophone belge.

 

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Par quels canaux d’information les Belges s’informent-ils sur les changements climatiques ? Le SPF Santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et Environnement, a mené en 2021 une enquête sur le rapport des Belges au climat. Zoom sur les conclusions concernant l’information et la communication sur les changements climatiques.

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