Dans les coulisses d'un prix littéraire


Dans Culture
Emma Puma

Chaque début de printemps, un jury élit le livre qui remportera le Prix Club de l’Auteur Belge de l’année. Cette récompense, créée en 2016, a pour objectif de mettre en avant la littérature belge. L’organisation a accepté de nous faire découvrir les coulisses de cette 8e édition, catégorie «Roman». 

«Je reconnais certaines têtes. Ça me fait plaisir de vous revoir!» Alors qu’au rez-de-chaussée, les rayonnages sont plongés dans le noir,  une agitation inhabituelle prend place au premier étage. Le siège central de la librairie Club, à Drogenbos (en périphérie bruxelloise), devient pour une soirée l’épicentre de la discussion littéraire.

A peine avons-nous déposé nos manteaux et picoré quelques chips qu’il faut se hâter vers la salle de réunion: le débat va commencer. Les membres du jury s’installent autour de la grande table. Tous ont répondu à l’annonce des magasins Club qui souhaitaient recruter des lecteurs passionnés parmi leurs clients. Quatorze jurés sont présents sur les vingt prévus initialement. Treize femmes. Un seul homme. «Ce n’est pas faute d’avoir essayé! Les candidatures restent très majoritairement féminines…», confie la modératrice du débat. Qu’à cela ne tienne, les jurées sont habituées: toutes ont déjà participé au moins une fois.

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La discussion s’amorce doucement et bientôt la première question fuse: «Mais comment les livres sélectionnés sont-ils choisis?». Il s'agit de propositions des éditeurs ou des libraires Club, parfois même des recommandations de particuliers. La question taraude le jury, mais la modératrice reste vague. On n’en saura pas plus… Certaines jurées regrettent l’absence d’auteurs dont c’est le premier roman. «Je n’ai pas envie de choisir un auteur qui a déjà été récompensé plusieurs fois.» Volonté, sans doute, au sein du jury, de mettre en avant des noms qui ne résonnent pas encore dans les foires du livre ou les librairies.

La question à un million

Assez parlé du choix des livres, il est temps d’annoncer le classement général des six ouvrages présélectionnés. Chaque juré a transmis ses préférences par mail quelques jours auparavant. Le lauréat sera choisi parmi les trois premiers du classement final. Tout le monde retient son souffle. Il ne manquerait plus que les autres aient adoré le livre qu’on a détesté. Le top 3 est annoncé. D'imposantes feuilles blanches ont été collées sur une des vitres pour y noter les points forts et faiblesses des trois livres arrivés en tête. Mais très vite, deux titres en haut du classement retiennent toute l’attention. Les jurés engagent la négociation. Le combat s’annonce épique car il emmène avec lui la question à un million d’euros: comment évalue-t-on un livre? Par les bouleversements qu’il provoque? Par l’histoire? La construction? Le style? La couverture? Pétri de certitude, c’est pourtant là que l’on découvre que tout le monde n’a pas les mêmes névroses que nous. «Mais on ne va quand même pas choisir ce livre-là! Vous vous souvenez de ce qui arrive au chat?», «Non mais la construction du livre est bancale enfin!», «Non mais l’émotion c’est bien, mais le style c’est mieux!»

Tant pis pour le chat

Comment va-t-on trancher? Le problème semble insoluble. «Revenons-en aux grandes feuilles blanches accrochées à la vitre». La jurée a raison, au fur et à mesure de la discussion, les arguments se sont précisés. Il est temps de faire le point. L’émotion pure doit laisser place à la raison. L’un des deux livres prend l’avantage. Les soutiens à son adversaire fondent comme neige au soleil. «Bon, je reconnais que malgré les mésaventures du chat, le livre mérite de gagner.» Victoire par K.O. pour Je ne suis pas là, de Lize Spit (Actes Sud). C’est la première fois, depuis la création du prix, que le débat ne désigne pas comme gagnant le livre arrivé en première position au classement général.

La réunion touche à sa fin. Les jurés doivent maintenant prendre leur mal en patience jusqu’à l’annonce du lauréat dans quelques semaines. Dehors, le soleil s’est couché. Les grandes feuilles blanches sont décrochées. Il est déjà l’heure de se dire au revoir «et peut-être à l’année prochaine!»

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