Comment l’extrême droite récupère le féminisme


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Chloé Olivier & Antoine Ramet

Du petit parti wallon Chez Nous au Rassemblement National français, en passant par le Vlaams Belang et le zemmourien Reconquête, tous les partis d’extrême droite ont célébré la Journée internationale du droits des femmes. A leur manière. Retour sur une récupération généralisée.

Comme chaque année depuis 1917, le 8 mars dernier a été l’occasion, pour des millions de femmes à travers le monde, de visibiliser leurs luttes pour une société plus diverse et égalitaire. Tous les partis politiques se sont emparés de cette journée des droits des femmes dans leur communication. La droite identitaire également, comme le petit parti d’extrême droite wallon Chez Nous, qui a publié des contenus dont les maximes dénotent nettement avec les slogans féministes, fièrement scandés dans nos rues le 8 mars dernier.

La «liberté» au service de la xénophobie

Le parti à l’abeille a bien compris comment détourner les codes féministes à son avantage. En lieu et place de ses couleurs habituelles – le bleu et le jaune –, Chez Nous a choisi d’habiller de violet, symbole féministe, ses prises de position du jour. Ce n’est pourtant pas l’envie de se distancier des stéréotypes de genre qui semble motiver les chargés de com’ de Chez Nous. Sur l’une de leurs infographies, une femme portant le voile se détache sur fond violacé. En gros caractères, on peut lire: «Liberté en danger».

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Post Facebook du parti Chez Nous publié le 8 mars.

Et si la prétendue cause de danger n’était pas assez claire, un post ultérieur s’empresse de la mettre en exergue: «L’islamisme est la plus grande menace pour le droit des femmes». Le tout tagué par un explicite «#8mars2024». Un message qui semble à nouveau bien éloigné de la volonté féministe de laisser à tout individu la liberté de culte, de s’habiller comme bon lui semble. De choisir, tout simplement.

Susciter la peur

Sous couvert de cette notion de liberté, Chez Nous affirme donc sa volonté de propager une idéologie ouvertement islamophobe. Selon Geoffrey Grandjean, professeur en science politique à l’Université de Liège, ce discours sert à susciter de la peur: «Je comprends la logique de leur campagne qui consiste à déformer la réalité pour faire peur, mais pour moi elle ne correspond pas à la réalité concrète que l’on vit en Région wallonne. Ils vivent une autre réalité que la mienne, où ils voient des femmes voilées un peu partout.»

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Second post Facebook du micro parti Chez Nous, publié le 8 mars.

La récupération du 8 mars n’est pas qu’un phénomène wallon. Au nord du Pays, le Vlaams Belang n’a pas manqué l’occasion. Il n’est pas question ici de droits, mais de sécurité. Ou plutôt d’insécurité. Avec un message: «La peur doit changer de camp». Le post du Belang est moins insidieux que celui de leurs voisins wallons. Sans doute un signe que le parti de Tom van Grieken a appris de ses erreurs. Geoffrey Grandjean ajoute: «C’est aussi une vision très paternaliste: "on va vous protéger, vous, les femmes." C’est une vision très machiste venant d’un parti majoritairement composé d’hommes.»

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Post sur X (ex-Twitter) publié par le Vlaams Belang le 8 mars dernier. Traduction: «En cette journée internationale de la femme, nous sommes confrontés à une grande injustice. Le harcèlement de rue est un problème auquel la plupart des femmes sont confrontées. Le Vlaams Belang est clair : ceux qui harcèlent et menacent les femmes doivent être sévèrement punis. La peur doit changer de camp!»

 

Le «viol des femmes âgées»

Même son de cloche en France. Les partis identitaires ont profité de la journée du 8 mars pour faire passer leurs idées. Aubaine pour le Rassemblement National (RN): la figure de proue du parti est une femme. Le compte officiel du RN a publié sur X (ex-Twitter), une affiche montrant une Marine Le Pen tout sourire désireuse de «réaffirmer notre attachement aux droits des femmes». Face à quoi? «A la montée de l’islamisme.» Quant au parti d’Éric Zemmour, Reconquête, il a dénoncé «une journée du féminisme de gauche contre les hommes», rappelant que le «combat prioritaire» était «le viol des femmes âgées par des clandestins.» Carrément.

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Post sur X du compte officiel du Rassemblement National publié le 8 mars.

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Repost du parti Reconquête d’un tweet de Marion Maréchal (membre du parti) publié le 8 mars.

 

Contacté par nos soins, le Front antifasciste liégeois (FAL) a commenté cette habitude de récupération du combat féministe par l’extrême droite: «Avec le 8 mars, leur intention derrière des communications pseudo-sécuritaires est clairement de cibler à nouveau les personnes musulmannes et les personnes migrantes. Rien de féministe ici, simplement le retour de leur racisme, déguisé pour surfer sur les mobilisations massives du 8 mars, journée historiquement progressiste et antifasciste.»

Ennemis du féminisme

Le FAL ajoute que les partis d’extrême droite ne sont d’habitude pas si complices de la cause féministe: «Ils ont l'habitude de s'attaquer à "l'idéologie" ou aux "théories" du genre ainsi que de défendre un rejet de l'éducation des jeunes à la vie sexuelle et affective, privilégiant plutôt un renforcement de la famille nucléaire hétéronormée et un contrôle vestimentaire des femmes. C'est clairement une façon de s'opposer à la lutte féministe et à toutes ses revendications et conquêtes jusqu'à présent.»

Bref, pour l’extrême droite, le 8 mars s’apparente plus à une «journée contre l’insécurité subie par les femmes» qu’à une journée réservée à la célébration des droits conquis. Du plus explicite au plus insidieux, les messages sont similaires: les combats féministes menés sur des décennies sont, selon l’extrême droite, menacés par l’immigration et la montée de l’islamisme. L’insécurité n’est pourtant pas le seul combat du féminisme, ce qu’a tenu à rappeler Geoffrey Grandjean: «Si vous protégez les femmes, et bien protégez-les dans les violences qui leur sont faites dans tous les aspects de la vie.»

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