L’effet d’un pincement aux cordes


Dans Culture
Emilio Carvajal

Photo : Emilio Carvajal

« Tu ne trouves pas que le Tilleul dégage une odeur de lessive ? » Cet après-midi, il gèle. Comme tout bon frileux, Lionel ajuste son bonnet. Fumeur également, il dégaine son briquet. L’atelier baigne dans une fragrance partagée. Deux zones, l’une où l’on découpe, l’autre où l’on ajuste. Accompagné par John Dowland au luth, il confectionne.

« À quinze ans, sur mon trajet pour aller à l’école, il y avait l’atelier d’un luthier. Je suis passionné de musique et la lutherie m’intéressait énormément. Pourtant, je n’ai jamais eu le cran de sonner chez lui pour visiter son établissement ». Dans un pays où le nombre de luthiers avoisine à peine la centaine, un nouvel intéressé apparait. « Un jour, il fumait dehors, cigarette au bord des lèvres et là je suis allé le voir. On s’est très vite bien entendus. Après, ce luthier m’a accueilli pour un stage. Il incarne malgré lui le rôle de mon mentor. Comme quoi finalement, tout peut partir d’une cigarette ». L’aventure de ce jeune confectionneur démarrera sérieusement quelques années plus tard : aujourd'hui, Lionel fabrique des clavecins. 

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À quelques aubes de l’arrivée du printemps, Liers brille, l’atelier rayonne, Lionel alerte. « Garde ta veste parce que je ne compte pas mettre le chauffage ! ». Hybride entre la guitare et le piano, le clavecin émane d’une complexité de confection majeure. « Si je m’y consacre à plein temps, je peux t’en façonner cinq en un an ». Aujourd’hui, l’artisan passe la moitié de sa journée aux grosses découpes.

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Quand le frêne passe sous la scie circulaire, le bois crie, les copeaux fuient. « Je vais lancer la dégauchiteuse raboteuse pour égaliser les planches, ça va faire un bruit de baleine ! » Les bruits marins résonnent dans tout l’atelier. La concentration reste toutefois à son paroxysme. Eclairé au LED, il suit avec précision le plan affiché au mur, les consignes pour un assemblage idoine. « Bon, le gros du travail est fait, on va passer en haut ». À l’étage, les activités manuelles demandent beaucoup plus de précision. Son nez retient de justesse ses lunettes, ses mains activent la radio. Dans cette atmosphère nettement plus sereine, l'ouvrier coupe, ajuste et installe les sautreaux sur le clavecin, les éléments clé de l’instrument. Ils viennent pincer la corde afin qu'elle résonne dans toute la pièce.

Au moindre mouvement, sa chaise craque. Bercé par de la musique du 16ème siècle, Lionel compte à voix basse tous les sautreaux prêts à l’emploi. Il les lance dans une boite. Calme rime avec confession : « Actuellement je gagne ma vie en bossant dans un bar parce que je ne peux pas vivre pleinement de mon métier. C’est aussi un choix, je ne veux pas me forcer, je veux garder le plaisir de la confection. Je viens à l’atelier sans aucune pression ». Le soleil s’estompe et la journée s’achève par l’installation des cordes sur le clavecin. D’une habilité remarquable, il fait frémir le fer durant tout l’accordage. En voulant attraper son dernier outil pour serrer la corde, l’ouvrier trébuche. « C’est le bordel dans mon atelier mais je sais où tout se trouve. C’est mon bordel ! » 

Photo paysage reportage Lionel

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