Liège sans pub, prêt à en Decaux-dre


Dans En ville On débat
Garance Hugo

Quelle est l’utilité d’un petit collectif militant face à un géant publicitaire ? Quand le collectif Liège sans pub s'en prend à JC Decaux, on croit voir un remake de David contre Goliath. Et pourtant, la modeste initiative fait mouche. Rencontre avec un miltant anonyme.

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Des militants du collectif Liège sans pub recouvrant un panneau d’affichage. ©Liège sans pub

Black Friday, salon de l’automobile, Saint Valentin... Liège sans Pub vise toujours juste. Le collectif tâche de sensibiliser le grand public aux effets néfastes de la publicité et espère à terme, en débarrasser la ville. Comment ? En faisant suffisamment de bruit pour attirer la presse via des actions antipub qui frôlent parfois l’illégalité : retrait, recouvrement, détournement, ou découpe d’affiches publicitaires. Il peut s'agir de lutter contre la publicité aux alentours des écoles, ou encore de dénoncer le gaspillage énergétique provoqué par l’éclairage de panneaux promotionnels. L’effort s'illustre aussi lors d'évènements plus insolites : utiliser l’électricité d’un panneau lumineux pour chauffer de la soupe ou cuire des pâtes. Actions directes et ciblées, communiqués de presse, avec ou sans soutien politique : se faire entendre, oui, mais pacifiquement.

Liège sans pub naît en 2017, lorsqu’il est question de reconduire le contrat qui unit pour quinze ans le géant publicitaire JC Decaux à la Ville de Liège. Pour s’opposer à ce renouvellement, des citoyens se sont rassemblés et ont lancé une pétition qui a récolté plus de 5 300 signatures. Malgré l’échec de leur action, le collectif a perduré et mène depuis lors des actions intermittentes pour lutter contre la publicité. En dépit de la résistance du gargantua Decaux, ces actions citoyennes se révèlent-elles utiles ? Ont-elles un impact effectif et concret à la fois sur les politiques et sur le grand public ? Un collectif citoyen a-t-il le pouvoir de changer la société ?

« Auparavant, on restait dans l’entre soi, aujourd’hui, il y a l’envie de faire des actions pour lesquelles on a des articles de presse le lendemain. Et s’il n’y a pas d’articles, c’est qu’il y a quelque chose qui ne s’est pas bien passé ».

Difficile de se faire entendre

Liège sans pub compte une vingtaine de membres volontaires. Au vu de ce faible nombre et de la portée relative des actions menées, il semble difficile de susciter l’adhésion des autorités publiques, ou même de rendre le discours incontournable.

Mobiliser la presse ne s’avère pas plus simple. Plusieurs actions, bien que préparées et annoncées, n’ont pas été relayées par les médias et sont demeurées invisibles pour le grand public. Le collectif liégeois soupçonne un manque de liberté. « De plus en plus, les médias sont financés par la publicité. Cela les rend très vulnérables et très dépendants », regrette un militant anonyme.

« On est trois à quatre personnes qui s’occupent des actions en amont. Une fois prêtes, il y a quinze à vingt personnes qui peuvent être mobilisées sur le terrain ».

Liège sans pub regrette également le manque de soutien du grand public lié, selon ses membres, à un manque d’information : « C’est difficile d’être pris au sérieux. Pour plein de gens, la publicité a un côté bon enfant. Beaucoup affirment ne pas y faire attention, ne pas la regarder. La plupart n’ont pas conscience des mécanismes de la publicité ».

Frôler l’illégalité pour mieux toucher le public

Toutefois, certaines actions marchent mieux que d’autres. Par leur originalité et leur audace, elles étonnent et éveillent le bon sens à coups de messages. Un militant raconte : « Offrir de la soupe chauffée grâce à l’électricité des panneaux publicitaires, c’était une action super bien réussie. En période hivernale, en pleine crise énergétique, cela intervenait à un moment où on a pu recevoir une très forte adhésion de la population. Le fait de gaspiller de l’électricité pour éclairer des panneaux alors qu’on est en train de se demander si on va pouvoir fournir de l’énergie à des lieux aussi importants que des écoles apparaissait aberrant ».

Pour le collectif, tout l’enjeu consiste à pouvoir sentir jusqu’où il peut aller dans l’illégalité pour maintenir l’adhésion d’une majorité de personnes. « L’action réussit quand elle est un peu de l’autre côté de la légalité, mais qu’au niveau du grand public, on se dit “y a rien de mal”.

Les actions directes sur le terrain se limitent à de infractions légères, telles que l’ouverture de panneaux ou le détournement d’affiches (qui peuvent être considérés, suivant les cas, comme de la dégradation de bien), ou le retrait d’une publicité (interprêtable comme du vol). « Quand on a utilisé l’électricité pour faire chauffer la soupe, c’est repris comme du vol d’électricité ». Le collectif ne revendique aucune action violente. « Quand on casse les choses, quand on est dans la destruction, ça nous prive d’une partie du public. Il y a des gens qui tout de suite se referment et ne peuvent plus écouter le discours », expose un membre du collectif.

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Des militants du collectif Liège sans pub remplaçant une affiche dans un panneau publicitaire JC Decaux. ©Liège sans pub

Peut-on parler de désobéissance civile ?

Selon Marie Jadoul, doctorante en droit à l’UCL, difficile de donner une définition univoque de la désobéissance civile. Derrière ce terme, différentes conceptions et visions se jouent. Pour simplifier, la chercheuse propose de comprendre cet acte comme « le fait de transgresser la loi de façon publique, collective et concertée, consciente (dans le sens d’intentionnelle) et non violente, dans le but de dénoncer ou de transformer une loi ou une politique ». Celle-ci peut relever du pénal ou renvoyer au règlement général de police d’une commune.

Si Liège sans pub n’identifie pas directement son action comme de la désobéissance civile, il la désigne tout de même comme un acte de résistance : « Nous cherchons à reprendre notre pouvoir en tant que citoyen.ne sur notre environnement, sur notre cadre de vie, ce qui nous entoure », résume le militant anonyme rencontré.

En ce sens, l’action du collectif rejoint la conception de Marie Jadoul de ce qui fait l’essence de la désobéissance civile. « C’est une manière, en démocratie, de pouvoir reprendre possession, dans le cadre d’une revendication collective et publique, de ce qu’une collectivité de citoyens réclame à titre de nouvelle solution », poursuit la chercheuse, qui s'en réfère à l'essai Pourquoi désobéir en démocratie ? « C’est un moyen important, une expression très forte de la citoyenneté et de l’attachement au dialogue ». 

L’argent, un adversaire coriace

Interrogé par le Studiobus sur le regard porté par les autorités communales sur les actions de Liège sans pub et sur la portée de leurs revendications dans les décisions prises, le bourgmestre, représenté par un membre de son cabinet, se veut pragmatique. Le discours ests sans surprises orienté finances : « La demande de Liège sans pub est légitime, ils voient leur combat. Mais l’autorité, elle, ne peut pas voir que ça. Elle doit voir comment, dans un contexte économique difficile, financer le service public ». À ce titre, l’autorité rappelle que le contrat signé en 2017 avec l’entreprise JC Decaux rapporte à la Ville de Liège près de cinquante millions d’euros sur quinze ans. Les cinq mille signatures de la pétition n’ont pas fait le poids.

Le cabinet a tenu toutefois à préciser le travail de consultation mené auprès de la population et du secteur associatif. En ce qui concerne le domaine de la publicité, il semble que les revendications citoyennes ont été, au moins pour une part, entendues : la Ville a prévu, dans le nouveau contrat signé en 2017 avec JC Decaux, une réduction de dix pourcent des surfaces publicitaires dans l’espace public.

Du côté de l'opposition, la tendance consiste plutôt à soutenir Liège sans pub. En pleine rentrée scolaire 2022, Liège sans pub menait une action pour dénoncer la présence de panneaux publicitaires aux abords des écoles. Les revendications avaient été relayées par Vert Ardent au conseil communal de novembre. Un membre du collectif contextualise : « On réclamait un périmètre de 300m sans publicité. Ce à quoi le bourgmestre a répondu qu’il y a beaucoup d’écoles à Liège et que cette distance revenait à éclipser totalement les panneaux... Ce qui était évidemment notre objectif. À Nantes, par exemple, ils ont fait ce choix de ne pas avoir de publicité aux abords des écoles, et ce dans un périmètre de 50m. On est revenu à la charge avec cet exemple mais on n’a pas eu de nouvelles du bourgmestre ». Sollicité, le parti Vert Ardent n'a pas répondu aux questions du Studiobus.

Une goutte d’eau dans un océan ?

Pour Marie Jadoul, ce type d’expression citoyenne n’est pas à analyser de façon isolée mais doit au contraire se voir contextualisé et historicisé. « Je pense que les actions légales et illégales doivent pouvoir être agencées les unes avec les autres. On ne peut pas isoler une forme de désobéissance civile en la désignant comme seule. Au contraire, il faut l’inscrire dans un mouvement qui œuvre plus globalement à un monde où l’économique ne prend pas toujours le pas sur l’humain. »

Selon la doctorante en droit, quand on pointe la désobéissance civile, on s'interroge sur sa potentialité à « sauver le monde » : « À quoi ça sert ? ». Pourtant, « c’est à travers des actions illégales telles que la désobéissance civile, mais articulée avec d’autres moyens légaux de protestation dans l’espace public, que la cause finira par bouger dans le bon sens ». Ce fut le cas, par exemple, avec le mouvement pour les droits civiques.

Une action sur du long terme

Si le collectif citoyen Liège sans pub est convaincu de la nécessité et de la légitimité de son action, il n’en est pas moins lucide quant au chemin qu’il reste à parcourir pour imprimer un réel impact sur le grand public et les autorités liégeoises. En attendant, il s’agit de rester soudé et motivé afin que l’initiative citoyenne ne s’essouffle pas.

Le militant rencontré conclut : « Il y a de la colère quelque part, mais c’est important dans le milieu activiste de faire les choses dans la joie, aussi, et de cultiver un plaisir à opérer ensemble. Si on se contente de l'exaspération, très vite on risque de se fatiguer, parce que tous ces combats sont de longue haleine. On ne va pas obtenir une victoire dans trois ou six mois. C’est un travail sur le long terme, qui n’est pas toujours mesurable. Influencer des personnes ne relève pas toujours du visible ». Rien ne sert de courir.

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