Elena Lacroix : Rock’n Blouse


Dans Culture À l'unif
Manon Sarlin

Études de médecine et carrière musicale : Elena Lacroix concillie les deux. Compositrice-autrice et interprète du groupe Eosine, l’étudiante tient la cadence. Un quotidien rythmé entre les bancs universitaires et les concerts.

« Il faut optimiser chaque instant. Quand j’ai des trajets pour aller voir des concerts, j’écoute des podcasts dans la voiture, j’étudie dans les loges… C’est hyper important de ne pas se laisser dépasser ». L’artiste est réglée comme du papier à musique face à ses nombreuses responsabilités. Sollicitée de toute part, des dizaines de coups de fil par jour, elle manque régulièrement les cours. Au moment d'écrire ces lignes, elle n'a plus mis les pieds dans un amphithéâtre depuis deux semaines. Cette double casquette, avec laquelle les cours d’anatomie se greffent à la musique, n’est pas de tout repos.

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Elena Lacroix, autrice-compositrice du groupe Eosine © Jo Cliquet

Cela fait deux ans qu’elle compose avec les deux disciplines grâce à un statut spécial : celui d'étudiant-artiste. Accès aux salles de répétitions, décalage d'examens ou encore promotion de son activité par l'université : ce profil singulier permet des aménagements. Parfois, les avantages surprennent : « J’ai reçu un mail en courrier prioritaire avec le sceau Royal. J’ai l’extrême chance d’être invité à la garden-party du roi Philippe, le 13 mai, grâce à ce statut ».

« On ne va pas changer notre organisation pour une saltimbanque dans son genre »

Cette vie rock’n’roll dérange parfois. La musicienne déplore la froideur de ses professeurs et leur manque d’ouverture d’esprit : « L’année passée, on m’a insultée. Les sessions en médecine sont difficiles, une semaine de session pour dix examens en tout... Un vrai coup de matraque. J’avais deux concerts cette semaine-là, donc impossible de faire les deux. J’ai envoyé un mail deux mois à l’avance au statut-artiste pour prévenir. Et ça a mis des semaines pour qu’ils se mettent d’accord. Ça a été très compliqué. La réaction des professeurs était de dire ‘on ne va quand même pas changer notre organisation pour une saltimbanque dans son genre ».

Face à ces réactions virulentes, la chanteuse ne se laisse pas décourager. Elle fait entendre sa voix jusqu’au bureau du créateur du statut : Christophe Pirenne. Grâce à son intervention, la situation rentre dans l’ordre. Son statut lui permet de décaler ses examens d'une semaine.

Toutefois, Elena entend toujours le même refrain : « la médecine est une vocation », « impossible de concilier stéthoscope et chant », « la musique ce n’est pas sérieux »... Elle explique : « Il y a quelques jours encore, quelqu'un m'a dit ‘’tu es en médecine ? Tu vas voir dans quelques années, tu ne sauras plus rien faire !” » Mais la compositrice de 21 ans balaie ces stéréotypes d’un revers de guitare.

« Si j’ai un concert versus un examen, je vais toujours choisir le concert. »

Malgré ses deux activités très prenantes, aucun redoublement à son actif. Son excellente mémoire, la rigueur et l’autodiscipline participent à sa réussite. Pour que les deux disciplines s’accordent au mieux dans l’agenda de l’étudiante, une organisation stricte s’impose : toujours réviser ses cours de médecine avant de composer ou de répéter ses morceaux. « Mais, si j’ai un concert versus un examen ou un cours obligatoire, je vais à chaque fois choisir le concert. Parce que la musique, si on me propose une opportunité aujourd’hui, ça signifie qu’on pense à moi maintenant. Dans deux semaines, on m’aura oublié si je ne réponds pas ».

Concurrence, éphémérité du monde musical. Elena saisit toutes les opportunités pour vivre de la musique. Des prémisses de ses chansons dans son home studio en 2018, à 7 concerts programmés pour le printemps et l'été 2023, l'artiste évolue. Invitée au festival de Dour, elle met tout de même en garde sur cette double vie : « Ce qui m’arrive constamment, c'est de ressentir des émotions très fortes. Quand tu fais des concerts, que tu rencontres plein de gens, c’est parfois le jour et la nuit lorsque tu retournes en cours. Il faut bien gérer ça aussi, avoir des moyens d’exutoires, des gens à qui parler de ces switchs montagnes russes émotionnelles ».

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De gauche à droite  : Julia Billen : guitare, chant ; Elena Lacroix : chant, guitares, synthés, composition ; Brieuc Verstraete : basse, chant et Benjamin Franssen : batterie © Giulia Simonetti

« Les études et la pratique artistique sont hyper complémentaires »

Pour l’artiste, médecine et musique peuvent s'entremêler dans un parcours scolaire : « Je pense que les études et la pratique artistique sont hyper complémentaires parce que l’art crée un exutoire. Il permet de se défouler, de faire des pauses, d’organiser sa journée ». Plus que cela, l’étudiante affirme : « les études permettent de donner une identité, une personnalité, aussi, à ton projet artistique et de vivre des expériences différentes qui enrichissent ton art. Les deux s’influencent et donnent un côté unique aux deux versants ».

Une inspiration à l’origine du nom de son groupe, actif depuis 2020. Le terme « Eosine » vient d’un colorant rouge employé en histologie, soit l’étude des tissus vivants. « L’histologie, on en projette derrière nous sur scène, je fais des vidéos avec mon microscope que je connecte sur l’USB avec l’ordi pour habiller nos shows ». L’Eosine est aussi un produit connu dans nos pharmacies de fortune : « le mercurochrome, c’est un désinfectant, mais il est aussi utilisé dans une optique de soin. Son but presque thérapeutique constitue une dimension-clé de notre démarche musicale ». 

Les titres de ses chansons s'inspirent de la science au sens large, du médical « Transfusion »en passant par le géologique « Onys ». Sa musique popdream et shoegaze résonne à nouveau dans son nouvel EP, nommé Coralline. Une vie à mille à l’heure. Cette double facette prendra peut-être fin l’année prochaine, si elle arrive à vivre de son art à 100 %. Pour les étudiants qui souhaiteraient se lancer dans une aventure similaire, Elena conseille : « Il n’y a aucun conformisme à respecter. Si tu as l’ambition de faire quelque chose, il faut y mettre l’énergie. Tout le monde est capable de le faire avec de la discipline, de l’organisation, de l’envie et de l’ambition ».

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