Verviers, effilochée


Dans Culture En ville
Adrien Huberty

Photos : Adrien Huberty

La Vesdre. Rivière aux eaux translucides qui creusent chaque seconde un peu plus une vallée longue et escarpée. « La plus ravissante au monde » selon Victor Hugo. Au creux d’un méandre, la désuète ville de Verviers. Autrefois richissime, elle abritait la plus grande industrie lainière du monde. Rencontre avec deux vétérans de la glorieuse époque, témoins directs de l’inévitable chute.

Viaduc de DolhainLe Lavoir et Carbonisage de Dolhain en décrépitude sous le viaduc ferroviaire

Le tisserand et le fileur. Tous les jours, des milliers de personnes passent devant la gare centrale de Verviers sans apercevoir ces deux statues sur la façade. Pourtant, les stigmates d’un riche passé industriel parsèment encore les quartiers de celle qui jadis faisait la fortune d’une région entière. Dans les cafés, on déplore l’état de la cité dans le temps prospère. « Les commerces s’en vont les uns après les autres ». Entre vitrines vides et façades taguées, les grues rasent des quartiers entiers, abandonnés.

Façade de la gare centrale de VerviersLe Tisserand et le Fileur observent chaque jour les miliers de voyageurs de Verviers-Central

« Infernal ». Voilà comment Paul Wintgens décrit sa ville. Il y est né. Il y a travaillé 33 ans comme monteur de machines de filatures à l’usine Houget-Duesberg-Bosson. La plus importante de la région. On y produisait des machines pour l’industrie textile.

Paul WintgensPaul Wintgens

Houget-Duesberg-Bosson était reconnue dans le monde entier. Les usines de production de machines textiles se situaient à Ensival et sur le boulevard des Gérardchamps. La réputation de l’entreprise tenait à la qualité de ses engins et aux brevets novateurs qu’elle déposait. Parmi eux, le Servolap. Un superordinateur capable de détecter les variations de densité dans un fil de laine pour les corriger en une fraction de seconde. « De rachat en rachat, les concurrents sont repartis avec nos brevets », souffle Paul Wintgens, arborant fièrement ses Palmes d’or de la Couronne pour services rendus à la Nation pour ses années de travail.

Décorations de Paul Wintgens

L'ancien ouvrier, pas mécontent de partager ses décorations

Derrière ses larges lunettes fines, le septantenaire revient sur la faillite par étapes du joyau de l’industrie verviétoise HDB. « En 1988, on vend des machines de filature aux Etats-Unis ». Problème : les Américains reçoivent une information erronée de la part de l’usine belge. On leur aurait vendu des assortiments de cardes pouvant produire jusqu’à 120 mètres de fil par minute. En réalité, les machines pouvaient en produire 80 « L’usine américaine s’est retournée contre nous avec ses avocats. Houget a été condamné à ne pas être payé », déplore l’ancien ouvrier.  

HDB ne peut garder la face. Après des années compliquées arrive ce coup de grâce. L’usine passe entre des mains étrangères. Une première depuis sa création en 1823. Rachetée par le géant alsacien polyvalent Schlumberger dans les mois suivants, la suite ne s’annonce guère brillante. « Schlumberger commence par mettre des budgets ,» narre Paul Wintgens. « Ce qui faisait la réputation de HDB, c’est que toutes les pièces des machines étaient produites par la firme ». Il regrette les économies que le repreneur français imposait à son employeur.  En regardant ses nombreuses décorations, il explique que sur la fin, HDB ne fabriquait plus que la moitié des pièces des machines qu’ils assemblaient.

Un déclin de 20 ans commence pour ce fleuron industriel. Un rachat italien, puis allemand et deux faillites en 12 ans, le colosse au pied d’argile finit par ne compter que 12 employés pour une usine de plusieurs hectares.

En 2008 sonne le glas pour Houget-Duesberg-Bosson, passée d’une des plus grandes usines du pays à PME. Une lente agonie dont Paul Wintgens ne verra pas l’aboutissement. Remercié en 1996 après un nouveau rachat.

Des vies décousues

Difficile de s’imaginer les conditions de travail à l’époque dans la laine. Pour le sympathique Daniel Loubelle, régleur de cardes à la Carderie Verviétoise pendant 17 ans, une ambiance bon enfant régnait dans l’atelier. « On était plutôt copains », raconte-t-il, souriant.

Daniel Loubelle

Daniel Loubelle

Au cours de l’entretien, il expose fièrement des photos prises durant sa carrière textile. On y voit d’épars visages souriants et beaucoup de mécanique.

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Daniel Loubelle dans les années 70 à la Carderie Verviétoise. © Daniel Loubelle

Interrompant ses explications en passant de cliché en cliché, il livre une scène de vie. « Je surveillais les 250 machines de l’usine avec un collègue. Tout ne se passe pas comme prévu ». Son collègue, un certain Jean, fait preuve d’inattention laissant l’un des 250 engins dysfonctionner. La distraction de Jean relève à l’époque de la notoriété publique. Quand Daniel Loubelle va trouver son patron pour demander ce qu’il s’est passé, celui-ci lui répond mot pour mot : « Cherches et tu ne chercheras plus ! »

Intérieur de la Carderie Verviétoise

Intérieur de la Carderie Verviétoise. © Daniel Loubelle

Dans les longs halls vitrés de la Carderie, il y a beaucoup de femmes. Daniel Loubelle y rencontre d’ailleurs la sienne. Le père de cette dernière exerçait en tant que négociant en laines. Toute l’histoire de la famille qui s’est tissée autour de ce textile.


Les négociants en laines sont des commerciaux chargés de chercher les matériaux textiles de la meilleure qualité possible chez les éleveurs de moutons pour les revendre au meilleur prix aux entreprises de leur région.


Une dame parmi les machines

Une dame parmi les machines. © Daniel Loubelle

Quant aux contacts avec les autres dames dans l’usine, l’ancien ouvrier nous l’assure : « On fricote assez peu sur le lieu de travail, les gens se mariaient fort jeunes à l’époque. On n’osait pas trop tenter sa chance ».

Les femmes de la Carderie Verviétoise

Les femmes de la Carderie et un ouvrier sur le départ. © Daniel Loubelle

Verviers démodée

Pouvait-on éviter ce désastre économique et social ? Les avis divergent. « On aurait pu se mettre à travailler le coton », développe Paul Wintgens. « Il suffisait d’adapter les machines, rien d’impossible ». Daniel Loubelle refuse cette théorie. « Non, on ne pouvait rien faire pour empêcher cette situation ».

Que reste-t-il ? Le dernier site Houget-Duesberg-Bosson, rasé en 2020. Subsiste à la place un terrain vague en passe de se voir réaffecté en logements. La Carderie Verviétoise, devenue un terrain de paintball.

Seul Traitex à la sortie de la ville en direction de Limbourg fait exception. Le lavoir industriel numéro un d’Europe. Dernier vestige de la gloire d’antan. Né sur les restes du Solvent Belge, on peut d’ailleurs encore en apercevoir les grands caractères sur le toit de l’usine.

Le Solvent belge, devenu aujourd'hui Traitex

Le Solvent belge, aujourd'hui devenu Traitex

Le futur de Verviers se tourne vers d’autres directions que le textile. L’ancien haut lieu de la laine peine à se restructurer depuis 30 ans. Elle figure parmi les communes les plus pauvres du Royaume. Le revenu moyen y était en 2022 23,3% en dessous de la moyenne nationale. Bobine vide pour l’ancienne capitale lainière. 

Arrière du Solvent Belge

Derniers vestiges d'une gloire passée.

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