Georges-Louis Bouchez (MR) : La politique au marteau et aux faux-cils


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Nicolas Gobiet

Photos : Lola Carvajal

Belgique 2024 : clap de fin ? [3/5]

Un casque de moto. Des miniatures de voitures de courses. Un cliché de Maradona. Pas l’image habituelle d’un bureau de président de parti. En 2019, le conseiller communal montois investit le QG du MR. L’amateur de vitesse ne se contente pas de rafraichir la décoration. A bas les mots choisis, il « décomplexe les idées et la parole » de droite.   

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Le patron des bleus décape la politique consensuelle. La mèche lissée, le sourire éclatant. Ce petit-fils d’immigrés transalpins rêve de glorieuses batailles politiques. Il martèle ses ennemis sans vergogne et rassemble ses troupes en vue de 2024. S’imaginant César, ou plutôt Napoléon, le libéral apparait comme Néron aux yeux de ses adversaires. Le pyromane des coalitions. Un agitateur. Un populiste flattant de ses yeux doux la droite dure. Cet homo médiaticus déconcerte par la franchise de ses mots bleus. Les partenaires des prochaines élections ne risqueraient-ils pas de voir rouge ? La verve dans les starting-block, Georges-Louis Bouchez s’élance sans freins.

Bouchez révolutionnaire de la parole de droite

Vous arborez un apache et un samouraï tatoués sur le bras. La politique, ça se vit comme la guerre ?

Comme une guerre civilisée, un combat culturel. Avant, comment pratiquait-on la politique ? Par les armes. Maintenant, on débat. On retrouve souvent des schémas similaires : le courage d’attaquer, ne pas se décourager, perdre une bataille mais pas la guerre. Heureusement, on vit dans une société ne considérant plus le recours à la violence. Aujourd’hui, on lutte mais via les réseaux sociaux, les déclarations de presse, des campagnes de communication, des dossiers. Regardez ce que certains obsessionnels écrivent tous les jours. C’est leur manière moderne de m’envoyer des missiles.

Pour certains, il s’agit uniquement de stratégie. Mais dans ce cas, je serais en dépression depuis longtemps. Il me semble impossible de renverser la situation sans retourner à table et provoquer une rupture par rapport au passé.

Si on parle de stratégie : plutôt Sun Tzu, Machiavel ou Gandhi ?

Machiavel reste trop cynique. Gandhi possède un côté légèrement passif. Sun Tzu se montre quand même un peu plus cruel. Si je dois en choisir un autre : Napoléon. On l’imagine comme un homme en recherche de grandeur, voire mégalomane. D’un point de vue purement pragmatique, sans ses batailles, la France passe sous tutelle et la Révolution Française ne porte pas ses fruits. Trop souvent, on le résume comme un chef aimant la guerre pour la guerre. Sans comparaison aucune avec son impact historique, on me caricature de la même manière. La guerre et la politique demeurent des moyens pour défendre un idéal. S’assoir au bord d’une route à la manière de Gandhi ne le permet pas, je pense. Ou alors, il faut se montrer patient. Je le suis un peu moins. Je ne dispose pas de l’éternité pour moi.

On vous reproche souvent dans les médias…

Oh, on me reproche tant de choses…

…vos envolées, votre franchise et votre ton provocateur…

Mais ils m’invitent en permanence, malgré tout !

…Alors, façade politique ou réel trait de caractère ?

Je ne joue rien. Mon attitude se révèle propre à ma personnalité. J’agis et je rationnalise mon action via une stratégie. Vous êtes davantage que ce qu’on montre de vous dans les médias. Vous évoluez dans un schéma, un format, vous disposez d’un délai limité. Si vous m’attaquez, vous allez recevoir une réponse rapidement. La couleur politique des journalistes ne me pose pas problème. Leur enfermement dans un storytelling, oui. Avant d’être journalistes, ils sont humains. Ils utilisent des repères simples pour fabriquer une histoire. Ça apaise tout le monde, ça facilite la lecture. Sans compter le besoin de faire du clic. Pour un journaliste, Bouchez créant la polémique, c’est top niveau storytelling. Par contre, écrire un article sur « Bouchez prend de la hauteur, il calme le jeu » ou les énormités de Magnette, un professeur d’université... Là, vous sortez du storytelling.

Vous employez tout de même une tonalité relativement différente des autres présidents de parti. Vous regrettez la perte de cette fougue des idées chez vos collègues ?

À mort. Les trois quart des interviews aujourd’hui, elles ne servent à rien. Les gens votent pour des populistes et les mecs s’étonnent. Au cœur du débat démocratique, les idées n’existent plus. Pourquoi ? Car les partis politiques ne veulent déplaire à personne. Alors, on ne doit surtout ne rien dire. A l’arrivée, personne ne les déteste ou ne les aime. L’origine de mon problème avec les écologistes, et dans une moindre mesure avec les socialistes réside ici. Ils déclarent des choses ne correspondant pas à leur projet de société. Ecolo veut la décroissance mais ils ne l’expliquent pas. Ils vous vendent : « vivons autrement, la planète, chouette ».

Paradoxalement, j’éprouve davantage de respect pour le PTB. Pour tout le monde, ils racontent n’importe quoi. Bien sûr, mais le n’importe quoi correspondant à leur idéologie. Un modèle type URSS, déjà expérimenté dans une trentaine de pays jusqu’à présent. C’est plutôt le PS qui raconte n’importe quoi. Quand il vous parle d’augmenter les pensions sans toucher aux impôts des gens. Et comment on le finance ? Il règne un manque de courage et de consistance idéologique.

« Ecolo veut la décroissance mais ils ne l’expliquent pas. Ils vous vendent : « vivons autrement, la planète, chouette ». (…) Paradoxalement, j’éprouve davantage de respect pour le PTB »

On accuse votre parti de se droitiser. Mais cette droitisation, ce n’est pas la parole de son président, vous, en l’occurrence, se montrant davantage décomplexée et ne se souciant plus de déplaire ?

Analysez ce qu’on racontait de Jean Gol. A côté, je suis un centriste. Un jour, je voudrais faire le test de lire un de ses discours à la tribune. Je prends dix polémiques dans la foulée. On a dit du MR qu’il s’était droitisé avec Didier Reynders, on a dit du MR qu’il s’était droitisé voir fascisé parce qu’on pactisait avec la N-VA. On se droitise depuis tellement d’années qu’on a fini un tour sur nous-même. C’est leur stratégie pour, sans cesse, essayer de nous rendre infréquentable. De la diabolisation. Mais citez-moi une mesure que j’ai changé.

Le chômage, par exemple

Je me montre plus dur sur le chômage. Mais tout le monde le pense dans la boutique. Le nucléaire, aussi. Je décomplexe les idées et la parole. Quand j’annonce la limitation des allocations de chômage dans le temps, personne ne s’oppose.

J’ai une force. Pas dix, une. Je ressemble à l’électeur moyen du MR. Quand vous occupez la fonction de président d’un parti, rien ne peut vous arriver de mieux. Je viens d’une famille d’indépendants désargentés possédant uniquement leur force de travail. Cette petite classe moyenne apeurée par le risque de basculer. C’est mon terreau d’origine. Les gens votent à droite en Fédération Wallonie-Bruxelles pour ces raisons.

Vous êtes petit-fils d’immigrés italiens d’un milieu modeste. Vous grandissez à Colfontaine et Quaregnon, bastions socialistes. Vous étudiez à l’école communale et réalisez votre maitrise sous la direction de Marc Uyttendaele. Avec tous ces éléments comment n’êtes-vous pas devenu socialiste ?

Je les connais trop bien. Je possède l’ensemble des attributs pour devenir socialiste. Depuis mon enfance, j’éprouve un problème avec le défaitisme. Je déteste cette expression en Wallonie, « on fait son petit possible ». Non, on donne son maximum. Je ne comprends pas pourquoi, dans une classe, un élève doué doit attendre. Le misérabilisme reste du mépris pour les citoyens. Ça revient à dire « ces gens-là sont incapables de faire mieux ».

Au moment où je constate l’état de ma région, j’ai une certitude : je ne peux pas devenir socialiste. Le choix libéral n’est pas par défaut. Il demeure une vraie évidence mais il se trouve renforcé par ma certitude de devoir combattre le Parti socialiste. La colère est réelle.

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En 2016, vous réalisez le record de passer en quelques jours de député et échevin à…

À que dalle ! Si, conseiller communal, quand même

De l’opposition. On peut l’admettre : sans Elio vous ne seriez pas devenu président de parti. Vous le remerciez ?

Oui ! Sans Elio, j’en serais pas là. Il sortait de charge de Premier Ministre. Il me vire. Di Rupo montre à tout le monde : « Bouchez, c’est mon adversaire ». Je jouais en provinciale, le lendemain je me retrouve en finale de coupe de Belgique. Fatalement, il m’upgrade de suite.

Le jour où je perds mon mandat d’échevin, peu de temps après celui de député, mon meilleur pote, David Leisterh, me lance : « Je suis désolé. Je ne sais plus quoi te dire ». Je lui réponds « Ne t’inquiète pas, ma carrière est lancée ». C’est le point de bascule. Tout se réunissait médiatiquement. Prendre en frontale Di Rupo représente le meilleur certificat pour devenir un bon libéral. Pour l’anecdote, un an après, j’envoie mon bouquin, « L’Aurore d’un monde nouveau », à l’ensemble du collège de la Ville de Mons, accompagné d’une rose rouge.

Quel est votre rapport au Parti socialiste à l’heure actuelle ? Un conflit idéologique ou une confrontation partisane ?

Je porte énormément de respect et d’affection vis-à-vis d’Elio, honnêtement. On possède plus de points communs dans le tempérament qu’on ne le pense. Ses débuts et les miens, on vient du même coin, l’italianité. Son parcours reste profondément libéral. Il renvoie un côté self-made-man. On connait tous les deux, la difficulté de commencer une campagne électorale en ne connaissant personne. Mes deux parents et ma grand-mère votaient pour moi. Et là, tu sors et tu commences à sonner aux portes. On se forge vraiment au poignet. Il est le plus MR-compatible. Au niveau du PS, ma divergence est plus qu’idéologique. Le fonctionnement du Parti Socialiste me pose problème. Je conteste la machine à occuper le pouvoir et à endormir les gens. Le combat idéologique, il s’effectue avec le PTB ou même avec Ecolo.

Ça ne vous a pas empêché de rentrer dans plusieurs gouvernements avec le PS et Ecolo. Vous préférez rentrer dans une coalition quitte à laisser certains dossiers sur le bas-côté ?

Le rôle du Mouvement Réformateur reste de rentrer au gouvernement. Dehors, vous pouvez vous amuser et papoter, mais les autres votent. Dans l'opposition, on met à la poubelle l’entièreté des dossiers. Ma première demande en rentrant en coalition Vivaldi : conserver le bilan du gouvernement Michel en l'état. Demande acceptée. Loi de 1996, réforme en matière de baisse d'impôts de sociétés, etc. Aucune ligne remise en cause. Partir en majorité, ce n'est pas pouvoir appliquer l’ensemble de son programme. Finir dans l'opposition, c’est obtenir la certitude de perdre tout.

Jean-Marc Nollet et Paul Magnette ne cachent pas leur préférence : former une coalition sans le MR en Wallonie. Vous avez le sentiment d'être le nuage noir dans la coalition arc-en-ciel ? 

En communication, ils s'entendent à merveille. En coulisses, ils se détestent à mort. On oublie souvent les philosophies politiques mais on a tort. Le PS demeure un parti productiviste. Leur fondement s’assimile au nôtre sur l'aspect économique. Il nécessite de la production, de la croissance pour en répartir les fruits auprès des gens. C’est l'essence même du PS. Ce qui les met en porte-à-faux dans le discours écologique. Les verts ne l’avouent pas ouvertement mais dans leurs actions, ils essaient de restreindre un peu tout le monde. Mais Magnette et moi possédons le même genre d'électorat ! Une classe moyenne aux attributs sociaux semblables. La notion de productivisme et non productivisme me semble fondamentale dans la césure politique. Les verts n'ont jamais mis la croissance ou la productivité en idéal de société. Sur l'asile, la migration, la taxation des riches, PS et Ecolos sont proches comme ça. Mais dans le fond des dossiers, ils rentrent en opposition plus frontale entre eux, que le PS avec nous. Bruxelles, meilleur exemple. Ils gouvernent à deux. Avec DéFI mais il ne pèse pas dingue en termes de de poids politique. Ils cohabitent et ils n’arrêtent pas de se taper sur la gueule.

« Le rôle du Mouvement Réformateur reste de rentrer au gouvernement. Dehors, vous pouvez vous amuser et papoter, mais les autres votent »

2024, un rouleau compresseur à droite

Vous n’avez pas peur de passer pour un fauteur de troubles dans les gouvernements et de refroidir les partenaires en vue des négociations de 2024 ?

A chaque fois, s’ils peuvent ne pas nous prendre, ils ne nous prennent pas. J’ai effectué le raisonnement inverse. Au début de mon mandat, j’envisage deux possibilités. Soit je me montre gentil avec eux et je perds des voix. Les gens ne votent pas pour un parti de droite pour obtenir une politique de gauche. Et, à la fin, il existe d'énormes chances qu'ils te baisent. Alors je garde ma ligne et considère qu’entre 20 et 30% des gens en Belgique francophone attendent une réponse de centre droit. Et je l’incarne à mort. Personne à ma droite et je réunis jusqu'au centre. Un rouleau-compresseur.

Mettez-vous une seconde à la place du président du Parti Socialiste. Vous iriez conclure un accord avec le MR ? Non. Vous essayez d’abord les Ecolos, plus les Engagés. Si vraiment ça marche pas, vous jouez au mariole avec le PTB. Eventuellement vous passez par DéFI, avant de venir nous voir. Preuve de ce que je raconte, 2019. Ils essayent un PS/Ecolo minoritaire, et de faire monter à crever le CDH. Ils tentent même à un moment de recevoir le soutien externe du PTB. Deux mois après, ils reviennent vers nous : « Bon, vous sentez de la bouche mais pas le choix. Nous faites pas chier, surtout ». A l'époque je n’occupais pas le poste de président. Charles Michel partait et Willy Borsu négociait. Il ne jouit pas d’une réputation conflictuelle. Ils veulent toujours faire croire à un problème de personne, c’est de la légende.

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Votre but pour 2024 : vous rendre indispensable ?

Incontournable numériquement. Les tendances vont dans ce sens-là.

Vous évoquiez 30%. Pour l’instant, vous ne décollez pas au-dessus des 20%.

On n'a toujours pas voté. 

Vous ne croyez pas les sondages ?

Je crois les tendances dans un sondage, pas leurs chiffres. J’observe une augmentation au MR, contrairement à ce que certains me promettaient. Tout cela s'active pendant la campagne. Beaucoup de citoyens, ne savent pas encore pour qui voter. Par contre, les Engagés baissent, Ecolo chute, le PS continue à perdre des voix. PTB et Belang se maintiennent assez haut. La politique, c’est des maths. Notre nombre de membres augmente depuis trois années consécutives. On dénombre 4000 membres supplémentaires. Un autre phénomène se crée dans la presse. Les autres parlent tellement de moi. Beaucoup de partis rêvent de faire l'actualité. Nous, on dispose déjà de l’aspect notoriété et impact. Il reste du travail pour le convertir en adhésion et votes. Cet objectif de 30%, je ne le démens pas. Je le pense atteignable. Même si j’arrive à 27%, on expliquera que c'est un échec. Je promets un objectif, je travaille pour et mes équipes se mobilisent autour de ça.

« Premier de la Vivaldi, j’aurais pas voulu. Dans les conditions actuelles, ça ne m’aurait pas excité en tout cas. Être Premier Ministre de la suédoise ? Oui »

On connaît justement votre goût pour la rapidité et l'efficacité. 7 partis ce n’est pas trop ?

Je veux qu'on gagne les élections pour cette raison. Pour refaire des majorités plus homogènes. Le problème de ce gouvernement, c'est qu'on a tous des minorités de blocage. Et quand vous regardez notre nombre de députés, on est très proches. Normalement, il faudrait un à deux partis composés de 20-25 députés. Puis quelques autres partis aux alentours de 10 élus. Et vous avez un attelage à cinq, avec deux patrons, un patron flamand et un francophone. Le Premier ministre provient alors d’un parti des patrons. Cette répartition apparait davantage gouvernable. Je ne veux pas me montrer désagréable, mais ça n'aide pas Alexander De Croo de venir d'un des plus petits partis de la coalition.

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Bouchez au volant de la Suédoise ?

Magnette se rêve Premier ministre. Ça vous inquiète ? Vous convoitez le poste ?

À un an des élections, penser à ton avenir personnel, ça me semble un peu emmerdant. Surtout, si tu veux être Premier ministre. En ce qui me concerne, bien sûr, en politique, c'est un poste intéressant. Un président de parti, la vraie fonction pour laquelle il part d'un point de vue volontaire, est la direction d’un exécutif. Je connais l’ensemble des dossiers, nomme les ministres, fais l'accord du gouvernement. C'est une suite logique. J'aimerais le faire, mais à une condition : appliquer un programme avec lequel je me sens à l'aise. Premier de la Vivaldi, j’aurais pas voulu. Dans les conditions actuelles, ça ne m’aurait pas excité en tout cas. Être Premier Ministre de la suédoise ? Oui. 

Une suédoise (N-VA - MR - CD&V – Open VLD) ne serait-elle pas risquée au vu de la motivation de la N-VA d’imposer le confédéralisme ?

Une N-VA avec un programme communautaire annule toute possibilité d'entente.  Si, dans l'accord de gouvernement, on se centre sur du socio-éco’ et pas du communautaire. De Wever peut garder ses convictions sur plein de choses. Je  m'associe aux écolos. Le trois quart de leurs histoires, j'y crois pas. Mais dans l'accord de gouvernement, on peut travailler .

Le confédéralisme, scénario envisageable ?

Non, il n'existe même pas de majorité en Flandre pour le créer.

Même avec la montée du Belang ?

Je ne crois pas que ce risque soit réel. Les francophones aiment se faire peur. De toute façon, même avec le Belang, la N-VA ne dispose pas d’une majorité pour imposer un confédéralisme. Avec le schéma belge, vous devez inscrire les articles à révision, les voter à une majorité de 2/3, et puis revoter de la même manière les nouveaux articles après une élection. Et pour modifier la répartition des compétences via une loi spéciale, c’est 2/3 et la moitié dans chaque groupe linguistique. Il peut obtenir la moitié dans le groupe linguistique flamand mais pas les 2/3. Personne d'autre ne votera avec le Belang. Il n'obtiendra pas la majorité du côté francophone. Côté flamand, Groen veut refédéraliser. Le VLD aussi. Vooruit c’est pas des excités de la régionalisation. Même le CD&V de Sammy Mahdi n'est plus aussi régionaliste que celui de Joachim Coens. De Wever se trouve dans une impasse.

« Les francophones aiment se faire peur. De toute façon, même avec le Belang, la N-VA ne dispose pas d’une majorité pour imposer un confédéralisme »

Les Flamands et les Wallons sont-ils aussi différents ? 

On partage des éléments d'identité commune extrêmement puissants. Une certaine mentalité, une identité dans des ciments, des images. Une vision de notre propre bordel, en réalité. Après, est-ce qu'on a des spécificités culturelles ? Sans aucun doute. C'est pour ça qu'on a créé les communautés. Un peuple, c'est la volonté de vivre ensemble. Est-ce qu’aujourd’hui les Belges ont la volonté de vivre ensemble ? Oui, même la plupart des électeurs du Belang.

La Flandre de droite, et la Wallonie de gauche, un mythe?

Les Wallons restent hyper conservateurs. Je prends souvent cet exemple. La seule chaîne de télévision en Europe encore avec des speakerines aujourd'hui, c’est RTL. La Wallonie est une région incapable de réformer. Le conservatisme et la chape politique du PS poussent les gens à voter socialiste. Pareil, pour le vote PTB. Leurs électeurs et ceux du Belang relèvent de la même sociologie. Un électeur PTB peut devenir un électeur d’extrême droite. Un exemple : Région du Nord de la France. Vous observez des votes massifs sur Mélenchon au premier tour. Deuxième tour, ces mêmes gens votent Le Pen. Hénin-Beaumont, une ancienne ville communiste, c’est son fief. Expliquez-moi la différence entre les habitants d'Hénin-Beaumont et ceux de Marcinelle. Observez la banlieue de Valenciennes et Herstal. On retrouve les mêmes corons, la même troisième ou quatrième génération d'ouvriers mineurs, la plupart malheureusement sans emploi ou dans des situations économiques précaires. La mécanique de l'extrême gauche et de l'extrême droite est identique. Ils vous placent en victime d’une injustice et désignent un coupable.

D'ailleurs, les partis d'extrême droite en Europe présentent un programme socio-économique d'extrême gauche. Avant, l'extrême droite portait un programme économique dérégulateur, libéral, ancré à droite sur des questions régaliennes. Le programme du Vlaams Belang promet aujourd’hui la pension à 60 ans, davantage d'allocations, la baisse d'impôts. Comme le PTB.

PTB et Vlaams Belang, c’est équivalent pour vous ?

Totalement. Le fait que les médias ou les politiques ne le considèrent pas provient d'un élément à mon sens. On évolue dans une société où, parmi les droits fondamentaux, on érige l'égalité au-dessus des autres. La rupture de l’extrême droite est celle de l'égalité. Ils considèrent l’existence de différentes catégories d'êtres humains. Mais l'extrême gauche ne se montre pas plus cool avec la liberté religieuse ou d'expression, voire la propriété privée. On hiérarchise les droits fondamentaux, je trouve ça grave. Je ne veux pas d'un régime autoritaire, raciste ou non.

Vous avez débattu avec le PTB mais aussi le Belang. En débattant avec le Belang, vous avez brisé le code de bonne conduite du MR.

Tu peux te le permettre quand t’es président, c’est l’avantage.

Le cordon sanitaire : une protection encore utile ?

Un cordon sanitaire politique doit être instauré à l'égard de l'extrême gauche et l'extrême droite. Jamais on ne gouverne avec eux. Mais quand un parti comme le Belang pointe entre 25 et 30% dans les sondages, quel sketch de ne pas débattre. Evidemment, je vais être très clair et transparent, si ils se situaient à 2 ou 3%, j'aurais pas été. Vous ne pouvez plus vous retrancher derrière le cordon sanitaire médiatique avec un parti comme le Vlaams Belang. Vous devez partir au combat. Si les partis francophones, n'avaient pas créé une polémique, personne n’aurait vu ce débat de l’autre côté de la frontière linguistiques. Aucun. Débattre en Flandre ne pose pas de problème, on y débat avec le VB. Toutes les trois semaines, Tom Van Grieken se rend sur le plateau de Ter Zaak. L’ensemble des présidents de partis néerlandophones débattent avec lui. Je pars en Flandre, je m'adapte aux pratiques.

« Un peuple, c'est la volonté de vivre ensemble. Est-ce qu’aujourd’hui les Belges ont la volonté de vivre ensemble ? Oui, même la plupart des électeurs du Belang »

L’an dernier, je me rends à la fête flamande. J’arrive pile à la minute où le truc commence.  Les membres du Bureau du Parlement flamand attendent encore tous en rang d'oignons pour vous serrer la pince. Je me tourne et là, Filip Dewinter, le premier vice-président du Parlement flamand. Que voulez-vous que je fasse ? Je lui serre la main. T’es dans un enchaînement, tous les gens avant toi l'ont fait. Je regarde tout de suite car si quelqu’un prends une photo maintenant, je pense : « t'es mort ». C'est débile.

Restons en Flandre. De quelle personnalité politique flamande, homme ou femme, vous sentez-vous le plus proche ? 

Egbert Lachaert sur le fond des idées. Sammy Mahdi, on ne se situe pas loin. Mais celui avec qui, intellectuellement, c'est le plus challenging de négocier, c’est De Wever. Idéologiquement, si vous retirez l'aspect communautaire, ça serait de lui dont je me sens à 100% proche. Mais, il est bouffé par le cynisme. Son idéal politique semble tellement éteint. Son action s’apparente à une partie d’échecs du matin au soir. Quand j’explique que je ne resterai pas en politique toute ma vie, c'est au minimum pour ne pas devenir comme ça. Sans souffle dans ton action politique, fais autre chose.


LE VRAI ET LE FAUX avec Pierre Verjans et Michel Hermans de l’Université de Liège

Sur Napoléon

PV : « Je n’ai jamais lu que Napoléon aimait la guerre pour la guerre. C’était un chef utilisant la guerre comme une politique de prestige destiné à taire les oppositions internes. Il ne sauve pas grand-chose de la révolution française. Le code civil, la Révolution l’avait commencé, ce n’est pas lui qui participe au travail intellectuel. La seule chose qu’il fait là-dedans, c’est rabaisser le statut de la femme. Napoléon rétablit l’esclavage. Pire encore, tous les avantages du code noir protégeant un peu les esclaves ont été effacés ».

Sur Jean-Gol

MH : « La comparaison me semble prétentieuse. Jean Gol était très dur mais il maitrisait les dossiers. Georges-Louis Bouchez se montre grossier. Gol ne se permettait pas des envolées lyriques à caractère stupide ».

PV : « Il est difficile de comparer dans le temps. Les discours de Jean Gol s’inscrivent dans un contexte particulier. Il se bat contre une sécurité sociale fonctionnant d’une certaine manière à ce moment-là. Quand Jean Gol prend la tête du Parti en 1978, il adopte des postures très à droite. La raison : il doit se dédouaner d’avoir été un gauchiste pendant la grève de 1960. Ce n’est pas vrai que continuer à contester revient à garder la même position sur un système en évolution. Le centre de gravité en Wallonie ou en Flandre ne se situe plus au même endroit qu’il y a 40 ou 50 ans »

Sur le programme économique de l’extrême droite

MH : « C’est un discours uniquement politique. C’est un militantisme à visée électoraliste pour rejeter les deux. L’extrême droite n’est pas la même partout en Europe ».

PV : « Il donne des éléments de vérité. Le Vlaams Belang et le PTB se battaient tous les deux le slogan de la pension à 1.500 euros. Le problème reste de savoir ce qu’on appelle extrême droite. La Pologne, par exemple. Elle adopte une politique d’extrême droite sur le plan ethnique et éthique mais protectionniste et anti libéral ».

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