IPPJ : Comment Céline s'est sortie de l'engrenage


Dans On débat
Laura Hoebeke

À 16 ans, Céline se retrouve seule à la maison. Ses parents demeurant absents, l’adolescente commet des erreurs et se voit soupçonnée de faits qualifiés d'infraction. Tous sont classés sans suite, mais la juge de la jeunesse décide tout de même de la placer dans une Institution Publique de Protection de la Jeunesse (IPPJ). L’objectif : l’aider à sortir de cet engrenage.

Photo de l'IPPJ de Saint-Servais

L’IPPJ de Saint-Servais - Crédit : Eva Delvin

Un imposant bâtiment d’école mêlant pierre et colombage, un pavillon en briques rouges pour les occupantes en régime ouvert et un autre, plus modeste, pour le régime fermé. L’ensemble forme un grand U. Au milieu, une cour. Une prairie et une écurie apparaissent au loin. Isolée du centre, l’infrastructure se trouve en pleine campagne namuroise. « Une sorte de petit village », comme le décrit Céline. « Enfin, si on oublie les grillages de vingt mètres de haut et les gardes ». Le personnel de la sécurité se poste à toutes les entrées et sorties des bâtiments, ainsi que dans certains couloirs et hall d’entrées.

Céline, souhaitant garder l’anonymat, s’explique au téléphone : « On y trouve presque de quoi oublier que nous sommes détenues. Simplement, quelques détails nous rappellent parfois à l’ordre ». L’idée est de réinstaurer une certaine stabilité au sein de la vie de ces jeunes filles, à commencer par de la discipline. Réveil à sept heures, déjeuner à huit, puis corvées. École à neuf heures, pause à dix et fin à midi. Une vie « normale » ponctuée par le règlement de l’établissement.

L’heure du couvre-feu venue, les filles retournent dans leur chambre. Le système des portes les empêchent de sortir du dortoir une fois à l’intérieur. En cas d’urgence, un bouton rouge à côté de la poignée permet d’interpeller le garde au bout du couloir. « On réussit parfois à ouvrir la porte nous-mêmes. Mais, dans ce cas, une alarme retentit », grimace Céline.

Si ces jeunes filles, pour la plupart âgées d’entre 14 et 17 ans, vivent selon le même rythme, toutes ne le ressentent pas de la même manière. Certaines se révoltent et se voient retirer leur temps libre. D’autres vont jusqu’à tenter de commettre l’irréparable : « Il est déjà arrivé qu’une occupante tente de se suicider. On nous interdit les accessoires tranchants, électriques ou encore les objets avec câbles. Mais il reste les draps de lit ». Les occupantes possédant chacune une chambre individuelle, il reste difficile de surveiller chacune d’entre elles après le couvre-feu. La direction de l’IPPJ ne commentera pas ce point.

Céline raconte de façon assez décontractée son séjour de deux ans effectué au sein de l’établissement namurois. « Dans ma situation, le cadre de l’IPPJ restait la meilleure solution. Ça m’a aidé à faire le point ».

Des paroles confirmées par Michèle Meganck, juge dirigeante de la section Jeunesse du Tribunal de première instance francophone de Bruxelles : « Le séjour en IPPJ représente le commencement de la procédure de réinsertion sociale du jeune ». Parmi de nombreuses autres tâches, le personnel de ces institutions aide les victimes à réfléchir à leurs actes. Formé à instaurer une certaine discipline dans la vie de ces jeunes filles, il souhaite aussi les accompagner dans leur choix de carrière.

La réinsertion sociale, un parcours parfois semé d’embûches.

Le séjour en IPPJ terminé, une aide est mise en place pour accompagner le jeune dans sa réinsertion sociale. Au programme : rédaction d’un CV, recherche d’une formation, réinscription dans une école, ou encore organisation d’un « séjour de rupture » un voyage humanitaire. Assise à son bureau, Madame la juge Meganck explique que trouver un travail après un passage en IPPJ ne relève pas de l’impossible. Cependant, il reste à expliquer le « trou » apparaissant sur le CV. « Le casier judiciaire vierge une fois majeur, rien n’oblige les individus à signaler leur séjour en IPPJ  sauf s’ils décident de postuler dans la police ou l’armée ».

Salle d'audience du tribunal de jeunesse, Bruxelles

La salle d’audience (Tribunal de la jeunesse, Bruxelles) - Crédit : Michèle Meganck

De son côté, Olivier Huybrechts, criminologue directeur de l’ASBL Star, confirme. En revanche, retrouver une école pourrait présenter plus de difficultés. Un schéma qu’il a vu se reproduire : « Je me bats contre le personnel de l’IPPJ de Saint-Hubert. L’institution établit systématiquement un contact avec le nouvel établissement scolaire. Cette procédure induit une stigmatisation et pourrait entraîner un isolement du jeune vis-à-vis de ses camarades de classe. Le corps éducatif pourrait l’avoir dans son collimateur avant même d’avoir appris à le connaître ».

Céline, elle, ne rapporte aucun problème. La condition de sa sortie étant l’accomplissement d’un séjour de rupture, elle part dix jours dans un petit patelin belge où elle vit avec une famille possédant une ferme. « L’IPPJ m’a ensuite aidé a trouvé un job : j’ai suivi une formation pour travailler dans une pension pour chiens ». Malheureusement, son lieu de travail a récemment fermé.

La jeune femme a soufflé sa dix-huitième bougie en mars dernier. Son dossier est désormais clos. Inscrite chez Actiris comme demandeuse d’emploi, elle explique : « Je n’ai pas de diplôme. Trouver un travail reste donc compliqué. Je me renseigne pour suivre des formations et apprendre ». Actuellement, Céline vit chez sa maman. Elle explique ne pas avoir besoin d’argent dans l’immédiat, mais refuse de rester sans rien faire. « En attendant de trouver un travail, je fais du bénévolat dans des refuges ».

Céline retournera bientôt à l’IPPJ de Saint-Servais, cette fois comme invitée. Décidée à leur remonter le moral, elle discutera avec les occupantes actuelles de l’établissement. « Peut-être que mon histoire en motivera certaines ».

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